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A l'abbaye de Leffe, la vie d'une communauté prémontrée

Un article rédigé par Yves Thibaut de Maisières - 1RCF Belgique, le 22 juillet 2024 - Modifié le 29 août 2024
La balade de l'été : de sacrées escapadesAbbaye de Leffe : la vie de la communauté prémontrée

La vie religieuse à l'abbaye de Leffe ne s'est pas interrompue depuis 1152. Des frères prémontrés veillent sur les lieux, y accueillent les pèlerins et exercent une mission de soutien à l'église locale. Yves Thibaut de Maisières a rencontré le père Christophe Monsieur, prieur de la communauté, pour nous expliquer cette vocation particulière !

Le prieur de Leffe, père Christophe Monsieur ©1RCF BelgiqueLe prieur de Leffe, père Christophe Monsieur ©1RCF Belgique

A deux pas du centre-ville de Dinant, en bord de Meuse, l'abbaye de Leffe rayonne depuis 1152. Si les bâtiments ne datent pas de cette époque, une communauté prémontrée continue de veiller sur ces lieux dont la bière fait la renommée internationale ! Fidèle à sa vocation de vie communautaire et de service à l'église locale, l'hospitalité tient aussi une place prépondérante. Rencontre avec le prieur de la communauté, le père Christophe Monsieur. 

 

Notre charisme n'est pas la vie contemplative en soi, mais la vie communautaire au service de l'église locale, ce qui peut prendre des formes très variées selon les époques, selon les lieux.

 

Les Prémontrés, un ordre à l'histoire foisonnante 

 

L'ordre prémontré a été initié par Saint Norbert de Xanten au 12e siècle. Il devient très vite foisonnant dans nos régions avec la fondation de nombreuses abbayes (Floreffe, Hélécine, abbaye de Bonne-Espérance, Mont-Cornillon...). Qu'est-ce que cet ordre a apporté de chamboulant dans la vie de l'Église et dans la manière de vivre la vie religieuse ? 

Au moment de la fondation de l’ordre en 1120, Saint Norbert s'inscrit dans un mouvement de réforme, la réforme grégorienne. Durant cette période, le désir de réformer l'Église était très intense. La conviction de saint Norbert était de réformer le clergé. Pour parvenir à concrétiser ce dessein, il va réunir autour de lui des clercs et des prêtres. Il va leur donner la règle de saint Augustin qui est le premier en Occident à avoir pensé aux réformes du clergé par le passé. 

Ce qui est révolutionnaire, c’est que ces religieux sont des clercs au service de l’église locale. Nous sommes des chanoines réguliers et non pas des moines ; les chanoines réguliers sont donc des clercs vivants en communauté, au service d'une église locale. À l'origine, le bienheureux Hugues de Fosses, qui est un peu le législateur de notre ordre - celui qui a mis un peu de structure juridique - s'est inspiré de la charte de charité des cisterciens. Saint Norbert était très lié à Saint Bernard, donc il y a des ressemblances entre les deux ordres. Nous vivons dans une abbaye. Comme les moines, nous vivons dans un monastère, nous avons la même structure communautaire avec un abbé, un prieur, les différentes fonctions, les lieux communautaires sont les mêmes. La différence, c'est que nous ne vivons pas selon la règle de Saint-Benoît, mais celle de Saint-Augustin. Et notre charisme n'est pas la vie contemplative en soi, mais la vie communautaire au service de l'église locale, ce qui peut prendre des formes très variées selon les époques, selon les lieux. 

Comm D'abFloreffe, le faste des prémontrés

Entre vie communautaire et mission à l’extérieur

En tant que prieur de frères qui ont à la fois une mission à l'extérieur - par exemple une mission de prêtre auxiliaire dans les paroisses de la région - vous êtes un vrai chef d'orchestre parce qu'il faut à la fois gérer une vie communautaire, et gérer des frères qui ont des services en dehors de la communauté. 

C'est plutôt l'abbé qui est le chef d'orchestre. Disons que l'abbé donne un peu la vision générale, la vision d'ensemble, le projet d'avenir et le prieur règle plutôt les choses un peu concrètes de la vie et veille à ce que tout se déroule bien tant dans la vie communautaire que dans les services extérieurs. Il y a, dès l'origine de l'ordre, une variété de vocations des prêtres, des laïcs, des hommes et des femmes.

Actuellement, c'est vrai que l'accent est plutôt sur le religieux qui est prêtre, mais nous avons aussi des confrères qui ne sont pas prêtres. Disons que depuis le concile Vatican II, on met plutôt l'accent sur l'aspect augustinien de vie fraternelle, plutôt que sur le caractère ordonné ou non. En 2024, la communauté compte 12 religieux dont 8 vivent ici sur place. Nous avons deux confrères qui sont en mission à Liège, à l'église Saint-Jacques. Nous avons un confrère qui est curé de paroisse et qui réside dans sa paroisse. Et nous avons un confrère âgé et qui a besoin de soins, qui est en maison de repos. 

Par exemple, un de nos frères anime régulièrement des spectacles de marionnettes pour faire découvrir la vie des saints. 

Quand un candidat souhaite entrer ici dans la communauté, quels sont les points d'attention de la communauté ? 

Avant d'entrer dans la communauté, il y a tout un discernement qui permet de vérifier de part et d'autre la capacité pour le candidat de vivre ensemble. C'est un vrai défi. C'est simple mais en même temps c'est un peu difficile parce que les frères ont une variété d'âges, de caractères, de visions différentes de l'Église, de la société, etc. La question que nous allons nous poser est : est-ce que quelqu'un peut entrer et apporter quelque chose qui enrichit la totalité des frères ? L’ensemble de la communauté peut-il aussi s'adapter pour faire une place et accueillir en son sein quelqu'un avec une autre expérience que ce qui est déjà vivant dans l'ensemble. 

La vie en communauté et sa réalité

La vie communautaire à l’abbaye de Leffe ne s'est pas interrompue depuis 1152, à l'exception de la période de la Révolution française. Qu'est-ce qui explique à votre avis la pérennité de cette communauté qui a surmonté les vicissitudes ? 

Je crois qu'il y a un amour du lieu, un amour de sa propre vocation ; le fait que malgré toutes les difficultés, on vit dans la confiance et l'espérance que ce que nous vivons vaut la peine d'être vécu.

L'eau peut monter, envahir les bâtiments, on peut détruire, on peut reconstruire, on peut faire plein de choses. Mais le cœur vivant de la communauté, c'est la communauté elle-même. Et tant qu'il y a ce feu, - même si parfois c'est un peu le feu sous la cendre -, le feu peut reprendre, peut donner vie et peut se transmettre.

La vie de prière communautaire a beaucoup d’importance. Nous avons chaque matin l'office de lecture et les laudes à 7 heures. Nous avons l'eucharistie et l'office du milieu du jour à 11 heures. Puis, à 18 heures un temps de prière silencieuse et d'adoration eucharistique, suivi des vêpres, à 18 h 30, nous terminons la journée par les complies à 20 h 30. Ça, ce sont les temps de prière liturgique, et puis il y a aussi la prière personnelle où chacun prend le temps de lire la Bible, d'étudier, de méditer, de se nourrir intérieurement, de prendre soin de soi - c'est en prenant soin de soi qu'on prend aussi soin de la communauté et de ceux vers qui nous sommes envoyés. 

 

Je crois qu'il y a un amour du lieu, un amour de sa propre vocation ; le fait que malgré toutes les difficultés, on vit dans la confiance et l'espérance que ce que nous vivons vaut la peine d'être vécu.

Le vœu de pauvreté se vit d'une façon particulière chez vous. Est-ce qu'un religieux, une personne qui souhaite entrer dans l'ordre, a des biens qui lui sont propres ? Comment fait-il ?  

À partir de la profession simple, donc des premiers vœux, il reste propriétaire de ses biens mais ne les gère pas et à partir de la profession solennelle, il se défait de tous ses biens. Donc on ne garde rien en soi. C'est déjà dans la règle de saint Augustin, c'est très curieux de retrouver cette injonction au début d’une règle. Saint Augustin dit : « vivez tous ensemble, un seul cœur et une seule âme en quête de Dieu, et pour cela mettez tous vos biens en commun, que personne ne dise ceci m'appartient, mais que tout soit à tous. ». Et l'idée tant chez Augustin que chez Norbert, c'est ce qu'on vécut les premiers chrétiens, on mettait tout en commun et chacun recevait selon son besoin. 

Comment un frère en difficulté dans sa vocation, dans sa vie de foi, peut-il trouver de l’aide au sein de la communauté ? 

La première chose, je pense, c'est d'avoir un peu l'ensemble de la communauté qui est là comme un espace d'empathie et de bienveillance pour permettre à l'autre de vivre la difficulté qu'il peut vivre, donc de se sentir à l'aise et de permettre à la crise de s'exprimer. 

Parfois il y a des confrères qui sont plus à l'aise avec un autre confrère. Ce n'est pas nécessairement l'autorité supérieure qui doit intervenir, mais c'est sûr qu'on prend soin. Le supérieur veille au bien-être de ses confrères. L'ensemble de la communauté est là pour porter les frères. Dans certains cas, c'est bien d'avoir une personne extérieure avec d'autres compétences qui peut aider quelqu'un à voir clair dans la crise qu'il vit et dans le discernement qu'il peut faire à ce moment-là. 

L’accueil des pèlerins et la vision d’avenir 

La dimension de l’hospitalité est-elle chère à votre ordre ? Comment la concrétisez-vous à Leffe ? 

Oui, depuis les débuts, c'est une des missions que nous avons, on le vit comme un service, une diaconie. Si par le passé - quand la communauté était plus grande et les paroisses peut-être plus présentes et plus peuplées - nous allions plutôt dans les paroisses, maintenant c'est le mouvement inverse qui se fait, nous restons sur place et les gens viennent chez nous. On a différentes possibilités, vous avez des personnes qui viennent individuellement passer quelques jours pour vivre avec la communauté, pour partager les temps de prière, pour trouver un peu de calme et de repos.

Il y a des groupes de religieux ou de laïcs qui viennent vivre des séjours. Nous nous situons aussi sur la route vers Compostelle, donc nous accueillons quasiment chaque jour des pèlerins. 

Quels sont les projets pour l'avenir de la communauté ?

Le premier projet est celui de la communauté elle-même. Comment vivre en communauté quand on devient un plus petit groupe ? Nous n’avons pas d’autocars de postulants qui arrivent toutes les semaines, donc il faut penser à l'avenir. Pour pouvoir vivre et continuer, il faut pouvoir se transformer. On a toute une tradition, l'ordre à fêté ses 900 ans. D’autre part, il faut que la tradition ne soit pas un poids qui nous empêche de nous adapter aux circonstances actuelles - tout en restant fidèle à l'esprit qui nous habite. Construire, créer, édifier, faire vivre la vie communautaire est le principal projet à l’heure actuelle. 

Et puis, puisque nous sommes au service de l'église locale, il faut voir comment - avec les possibilités que nous avons - nous pouvons être une présence d'accueil, de service dans l'église locale. Là aussi, ce n'est pas toujours évident. L'église locale se cherche aussi et nous devons trouver un équilibre entre la vie communautaire et le service aux autres.

L'avenir devra nous permettre d'être un lieu source ou un lieu ressource pour beaucoup de personnes. Je pense que c'est dans cette direction-là qu'on va évoluer. L'avenir nous le dira ! 

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