Jean-Marc Sauvé : trois ans après la Ciase, quel regard sur l'Église catholique ?

RCF, le 1 octobre 2024 - Modifié le 2 octobre 2024
Je pense donc j'agisJean-Marc Sauvé : trois ans après la Ciase, quel regard sur l'Église catholique ?

Il y a trois ans, en même temps que les chiffres accablants des agressions sexuelles sur mineurs commises dans l’Église catholique, le grand public découvrait le nom de Jean-Marc Sauvé. Connu et respecté dans son domaine, ce haut fonctionnaire dévoué à l’État a accepté de servir l’Église en prenant la présidence de la Ciase. Sa mission était de "faire la lumière" sur des crimes commis par des individus et mesurer la responsabilité de l’institution ecclésiale. Trois ans après, quel regard porte-t-il sur l'Église et ses engagements ? 

Trois ans après la publication du rapport de la Ciase, Jean-Marc Sauvé revient sur son expérience et livre son regard sur l'Église catholique à l'occasion de la sortie du podcast Silence, on crie  ©RCF Radio-Notre-DameTrois ans après la publication du rapport de la Ciase, Jean-Marc Sauvé revient sur son expérience et livre son regard sur l'Église catholique à l'occasion de la sortie du podcast Silence, on crie ©RCF Radio-Notre-Dame

Dans la religion catholique, la croyance en Dieu est étroitement liée à l’institution ecclésiale. Fidélité à l’Église, adhésion aux dogmes ou respect de la figure du prêtre "configuré au Christ", sont, pour des milliers de baptisés, constitutives de la vie de foi. À l’automne 2018, c’est l’Église elle-même qui a sollicité Jean-Marc Sauvé pour présider la Ciase et "faire la lumière" sur le scandale retentissant des agressions sexuelles sur mineurs au sein de l’institution. Catholique, Jean-Marc Sauvé a accepté cette mission. C’est donc un laïc qui, in fine, avec son équipe, a recommandé à celle-ci de reconnaître la "responsabilité institutionnelle" des crimes commis par des prêtres ou des religieux pédocriminels.

Jean-Marc Sauvé, c'est surtout un homme qui a laissé les cris des victimes résonner en lui au point de provoquer "une rupture" intérieure. Il y aura un avant et un après la Ciase dans la vie de Jean-Marc Sauvé, mais aussi dans l'histoire de l'Église catholique. Et si, désormais, libérer la parole et faire entendre la voix du peuple de Dieu était une façon de servir l’institution ? Trois ans après la publication de son rapport, et à l’occasion de la sortie du podcast Silence, on crie, Jean-Marc Sauvé accorde une interview exceptionnelle à Stéphanie Gallet.

Sauver l’institution ?

"D’avoir vu le cheminement [de Jean-Marc Sauvé] tout au long de l’enquête, j’ai trouvé ça formidable. À la fois d’une humanité sans bornes, parce qu’il aurait pu dire : Je suis un catholique convaincu, je veux sauver l’Église, etc. Et en même temps il l’a fait un peu comme beaucoup d’entre nous l’avaient fait au départ c’était aussi pour, d’une certaine manière, sauver l’institution… En tout cas, dans la première démarche c’était de dire : En tant que catholiques on ne peut pas laisser ça comme ça. C’était vraiment une des choses les plus belles, les plus humaines que j’ai vécues dans ce rapport."

Alexandre Hezez, cofondateur de l’association La Parole libérée, dans le podcast Silence, on crie

 

Jean-Marc Sauvé a-t-il accepté la présidence de la Ciase pour "sauver" l’institution, comme le suppose Alexandre Hezez dans le podcast Silence, on crie ? C’est sans doute par fidélité à l’Église que ce catholique a accepté de prendre la présidence de la Ciase. "Ce qui m’a vraiment déterminé - en dépit de mon incompétence réelle pour aborder ce type de sujet dont je n’étais absolument pas familier - ce qui m’a déterminé, au fond, c’est que c’est que c’est l’Église qui me le demandait."

Issu d’un milieu modeste de Picardie, Jean-Marc Sauvé a grandi dans la foi catholique. S’il a un temps voulu devenir jésuite, c’est une autre institution - l’État - qu’il a servie durant quarante-cinq ans. Puis il a accepté cette mission d’Église avec le même sens du service : "Une chose qui est extrêmement claire dans la démarche, c’est que tout en étant complètement ignorant de ce que je vais découvrir, de ce que je vais vivre, je suis absolument dédié à cette tâche et je l’appréhenderai comme j’ai appréhendé mes missions antérieures."

Haut fonctionnaire, ancien préfet et ancien président du Conseil d’État, Jean-Marc Sauvé est réputé pour son exigence d’impartialité et son souci de neutralité. Lui qui dit avoir vu de près les effets du "dévoiement" de l’institution ecclésiale. Et ce que peut provoquer "la perversion de l’autorité". Jean-Marc Sauvé ne cesse de le répéter, ce sont "toutes les institutions qui devaient protéger les enfants" qui sont concernées par la "maltraitance". Mais dans le cas de l’Église catholique c’est plus "grave" encore à ses yeux car c’est "une institution qui était là pour éveiller à la vie, à la foi, apporter le salut".

 

Il faut cesser de s’auto-flageller. L’Église a eu des torts, elle a commis des fautes mais sur ce sujet elle marche en avant, elle montre la voie

 

Morale sexuelle, droit canonique, catéchisme... ces chantiers qu'il reste à mener

"En ce qui concerne le passé, très honnêtement les recommandations de notre rapport ont été respectées", commente Jean-Marc Sauvé, trois ans après. Parmi les 45 recommandations de la Ciase figurait la reconnaissance de "la responsabilité systémique de l’Église" (recommandation n°24). Peut-on être dévoué à l’institution et vouloir son autocritique ? Le président de la Ciase précise que parler d’une "responsabilité institutionnelle" ne veut pas dire que "l’Église aurait organisé un système d’abus". Il s’agit de pointer du doigt le fait "qu’elle n’a pas su protéger les enfants". 

Le travail de la Ciase a été remis en question par un certain nombre de catholiques. Ainsi l’Académie catholique a-t-elle émis des doutes, on s’en souvient, sur ses méthodes statistiques et sur des points de théologie que les experts soulevaient. "On ne pensait pas, répond Jean-Marc Sauvé, que la théologie, l’ecclésiologie de l’Église catholique aient pu être criminogènes. En revanche il y a eu des dévoiements, des dénaturations, des perversions."

Un chantier en particulier, reste à mener : celui de la morale sexuelle. C’est à la fois "un tabou", estime Jean-Marc Sauvé et en même temps, elle fait l’objet d’un "excès de fixation", dit le rapport de la Ciase (recommandation n°11). "Dans la morale sexuelle de l’Église catholique, tout ce qui est manquement à la doctrine de l’Église est revêtu d’un niveau de gravité exceptionnel. C’est-à-dire qu’aujourd’hui, dans le Catéchisme de l’Église catholique, si on n’a pas un doctorat de théologie morale il est extrêmement difficile de faire la distinction, en terme de gravité, entre des relations sexuelles hors mariage entre personnes consentantes d’une part, et d’autre part l’agression sexuelle commise par un adulte sur un mineur." De même, Jean-Marc Sauvé appelle à une réforme "indispensable" du droit canonique.

Malgré tout, Jean-Marc Sauvé salue le travail de la Corref et de la CEF, les deux instances commanditaires de la Ciase. Ainsi, le travail collectif se poursuit sur l’accompagnement spirituel et Jean-Marc Sauvé a pu apprécier la qualité des rapports produits par les neuf groupes de travail sollicités par la CEF. Il regrette qu’un certain nombre de points ont été renvoyés "à l’appréciation de chaque évêque pris distinctement dans son diocèse". Or, "chaque évêque a mille problèmes à régler", dit-il. Pour lui, le travail sur des sujets comme la gouvernance de l’Église, l’accompagnement du ministère des évêques ou des prêtres doit être mené collectivement.

 

Je pense et je crois vraiment profondément que Dieu lui-même était là présent et profané au cœur de ces enfants qui ont été effectivement maltraités et profanés

 

Le point de basculement : l’écoute des victimes

Le parcours de Jean-Marc Sauvé est celui d’un homme attaché à l’institution, prêt à se mettre à son service et à se dédier totalement et jusqu’au bout à cette tâche. Mais qui, ce faisant, a "fait l’expérience du mal, et du mal le plus atroce qui soit, c’est-à-dire du mal fait à un enfant et de surcroît par un prêtre ou par un religieux". Il était prêt à servir mais ne s’attendait pas à un tel "choc psychologique".

"Ce qu’on se représente intellectuellement n’a rien à voir avec la découverte ensuite qu’on fait concrètement des témoignages, la rencontre avec les victimes, la lecture des messages…" Cette expérience a provoqué en lui "une rupture indélébile" et quelque chose "d’irréparable". Jean-Marc Sauvé a dû consulter un psychothérapeute - ce qu’il n’avait jamais fait de sa vie. Mais il a gardé la foi en Dieu. "Je pense et je crois vraiment profondément que Dieu lui-même était là présent et profané au cœur de ces enfants qui ont été effectivement maltraités et profanés."

Trois ans après, quel regard porte le président de la Ciase sur l'institution ? Sans doute un regard plus distancé. "J’ai mieux compris ce qu’était l’écart entre une institution avec ses pesanteurs, ses trahisons, et ce qu’est la vocation de l’Église telle qu’elle ressort de l’Évangile et des lettres de saint Paul." Parce qu’il reste croyant, le président de la Ciase croit que l’Église catholique "doit continuer d’apporter l’espérance et le salut à l’humanité". Mais il faut aussi continuer "à regarder la vérité en face".

 

Durant les trois années qui ont suivi la remise du rapport Sauvé, de nombreux scandales d’agressions sexuelles ont retenti dans les médias. Les affaires Santier ou Ricard, mettant en cause des évêques – puis en 2024, les révélations sur l’abbé Pierre ou sur un prêtre de l'Emmanuel. En cette rentrée, le procès des viols de Mazan secoue toute la société française. Des affaires où l’on retrouve les mêmes "mécanismes générateurs des abus". Pour Jean-Marc Sauvé, l’Église catholique a initié un mouvement. "Il faut cesser de s’auto-flageller. L’Église a eu des torts, elle a commis des fautes mais sur ce sujet elle marche en avant, elle montre la voie."

 

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