Il l’avait annoncé, son rapport allait causer un choc pour tous les catholiques. Jean-Marc Sauvé, président de la Ciase a annoncé publiquement des chiffres, plus de 216.000 victimes d’abus sexuels dans l’Église en 70 ans. Il a aussi pointé du doigt les défaillances de l’institution. Étienne Pépin a rencontré ce croyant, témoin révolté du mal qui s’est insinué dans l’Église.
Ancien secrétaire général du gouvernement et vice-président honoraire du Conseil d'État, Jean-Marc Sauvé a occupé les plus hauts postes au sein de la fonction publique. Un énarque, qui a failli devenir jésuite et qui, une fois retraité, n’a pas hésité à accepter la présidence des Apprentis d’Auteuil. Pour ce catholique convaincu, sa mission au sein de la Ciase - commission qu’il a lui-même constituée - a été comme une descente aux enfers. Une "traversée de l’en-bas", comme l’a dit Sœur Véronique Margron, la présidente de la Corref, reprenant l’expression du théologien Maurice Bellet. "Ce qui est profondément perturbant, c’est de voir de manière presque chimiquement pure, le mal s’insinuer dans une œuvre de salut." Alors que l’Église est censée donner "accès au salut" et à la "liberté intérieure", voir ainsi "une œuvre maligne se glisser à ce point, s’insinuer dans l’appareil de l’Église, qui est sainte, catholique, apostolique, on est à la fois ému et révolté".
"Touché au cœur", "choqué", Jean-Marc Sauvé entend "faire la part des choses". Le croyant qu’il est entend mettre d’un côté l’institution, les ministres des cultes - "dont nous découvrons que ce sont des hommes avec leurs faiblesses et leurs défauts" - et "la part" qu’il donne à "la parole, la prière, les sacrements". Il encourage chacun à "vivre cette étape comme un temps de recueillement, d’attente et d’espérance". "Nous ne pouvons pas croire que la vie s’arrête aux horreurs que nous avons constatées. Ces horreurs, elles sont là. Il vaut mieux les regarder en face que de les ignorer ou de retourner la tête."
La Ciase s’est réunie pour la première fois en février 2019. Au cours des deux ans et demi qui se sont écoulés, 2738 témoignages de victimes ont été reçus (via France Victimes) et 174 victimes ont été entendues par les membres de la Ciase. "Ce qui est très impressionnant bien sûr, c’est la douleur des victimes, retiendra Jean-Marc Sauvé, une douleur qui survit alors que les décennies passent. Non seulement cette douleur survit mais elle continue de produire une œuvre de mort." Parmi les victimes qui ont témoigné, certaines avaient 50 ans, voire 70 ans ou plus. Des décennies après, témoigner c’est raviver des souvenirs douloureux. Jean-Marc Sauvé insiste sur leur "courage". "Une audition, elle crée sa propre douleur, c’est un peu le choc traumatique qu’on invite à revivre." Parmi les victimes qui avaient témoigné, toutes n’ont pas pu relire le compte-rendu de leur audition.
La douleur, pour Jean-Marc Sauvé, c’est aussi de "constater que l’Église n’a pas voulu regarder en face le choc traumatique qui résultait des violences sexuelles". Le président de la Ciase considère que "l’Église a été indifférente, totalement indifférente", qu’elle "s’est, en plus, sans doute trouvé des excuses, en considérant qu’après tout une victime avait forcément contribué au mal qu’elle supportait". Il y a eu "un grand manque de lucidité", juge-t-il.
Parmi les 45 préconisations de la Ciase, certaines concernent la figure du prêtre. "L’identification du prêtre au Christ dans tous les aspects de sa vie et même en dehors de la célébration est un problème", a déclaré Jean-Marc Sauvé. Si ce ne sont pas le dogme ou la doctrine catholique qui sont pointés du doigt, comme il le précise, les experts de la Ciase ont repéré des "points de préoccupation". Ils concernent : l’accompagnement spirituel, le sacrement de pénitence (et notamment le secret de confession), la manière dont on vit les charismes dans les communautés, le principe d’obéissance et la façon dont il a été transmis ou enseigné…
"Il faut reconnaître qu’il y a dans l’Église catholique un certain tabou de la sexualité." Et pour Jean-Marc Sauvé, "il ne faut pas que ce tabou de la sexualité conduise à ce qu’il y ait un point aveugle sur ce que sont les crimes et les délits". Ce tabou empêcherait de distinguer "ce qui constitue une atteinte grave à la personne d’autrui et ce qui constitue purement et simplement un manquement à la morale sexuelle catholique". Il empêcherait donc de voir la gravité de certains faits... La Ciase encourage donc l’Église à reconnaître qu’il y a dans les violences sexuelles "une œuvre de mort". Son président de rappeler le cinquième commandement : "Tu ne tueras pas."
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