La Madone des pèlerins ou La Vierge de Lorette.
Caravage, 1604 – 1605. Huile sur toile, 2,60 x 1,50 m.
Basilique Saint- Augustin, Rome.
En 1602, le marquis Cavalleti commande au Caravage une œuvre pour sa chapelle dédiée à N-D de Lorette, dans l’église St-Agostino à Rome ; le tableau y est placé en 1604. L’œuvre ne s’inspire pas d’un texte biblique, même s’il peut évoquer une adoration des bergers, mais d’une légende : au IVe siècle, Ste Hélène, mère de l’empereur Constantin, fit élever à Nazareth une église dans laquelle on vénérait la maison de la Vierge au jour de l’Annonciation. Au XIIIe siècle, les lieux Saints étant menacés par les Sarrasins, une légende naquit selon laquelle des anges transportèrent la sainte maison dans la province d’Ancône, et la déposèrent dans une forêt appartenant à une dénommée Lorette le 10 décembre 1294, date retenue pour la fête. Des voyageurs illustres tels Montaigne, François de Sales et Louis-Marie Grignon de Montfort, vinrent y prier.
Ici, aucun ange portant la sainte maison, ni foule de pèlerins, ni paysage merveilleux, mais seulement quatre personnages et des fragments d’architectures : une marche, les moulures d’une porte et un mur au crépi abîmé laissant paraître quelques briques. La lecture est simple : deux pèlerins arrivent au seuil d’une Église qui souffre les affres des controverses, mais une Église qui, par Marie, présente aux pèlerins, dans l’embrasure de sa porte, son Enfant. Véritable ostensoir de la Présence au seuil de sa demeure, Marie accomplit, avec un naturel d’exception, son exceptionnelle mission.
L’Enfant est lourd de gloire, ce qui invite sa mère à s’appuyer, avec naturel, au bâti de la porte, à croiser ses jambes et à placer son pied droit sur sa pointe, afin de remonter sa cuisse pour soutenir et présenter son Fils. La Vierge s’incline avec bienveillance en un mouvement qui, sans affectation aucune, magnifie la ligne de son épaule et de sa nuque.
À peine surélevés, la Mère et l’Enfant, tout proches de notre monde, n’expriment aucune condescendance ; ils regardent ce monde avec douceur et tendresse, et l’Enfant-Dieu bénit ces pèlerins agenouillés « car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, pour que tout homme qui croit en lui ait la vie éternelle. » (Jean 3,16). Ce don du Fils, le peintre l’évoque par des langes dont les plis et la trame sont déjà ceux du linceul du Vendredi Saint.
Deux pèlerins de nobles de naissance, ont l’apparence des gens du peuple : pieds nus, mains rugueuses, visages burinés, ils sont agenouillés les mains jointes, leurs bâtons au côté. La femme, avec son turban usagé de paysanne, et les pieds sales de l'homme, sont trop près du spectateur pour ne pas être remarqués ; avec cette terre qui colle aux pieds, on sent la dureté du chemin, et les difficiles conditions de l’existence.
Ces pèlerins ne sont point de pauvres hères ; au contraire, ils ont les pieds bien sur terre, et c’est avec leurs pieds qu’ils cheminent jusqu’à la porte du Ciel dont Marie est l’indéfectible médiation. Rappelons qu’alors, pour répondre à la théologie protestante, et selon le Concile de Trente, Marie, est plus que jamais présentée comme médiatrice du salut offert par son Fils.
Ce clair-obscur, héritage de la Renaissance, Caravage en fut un tel maître, un tel virtuose, qu’il éblouit des générations d’artistes. Pour ses œuvres, il ne dessine pas d’études, mais sur la toile, au fusain, quelques traits puis il peint directement, d'un seul jet, avec très peu de repentirs : un fond neutre, peu de décor, des personnages en action, une extrême précision pour les seuls détails nécessaires, et jamais décoratifs. Tout est centré sur le sujet et les émotions de ses modèles, des gens des rues, des maisons de jeux… Célèbre de son vivant, Caravage est loin de faire l’unanimité : « Il était venu pour détruire la peinture », dira Nicolas Poussin, à Rome en 1624, parangon de l’art classique et allergique au baroque.
Père Axel Isabey, service Art et Foi diocèse de Besançon
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