Tous les saints sont uniques et leurs histoires sont souvent plus belles les unes que les autres. Chaque fois que je vous présente un saint ou une sainte, je m’émerveille et je le trouve tout à fait original et extraordinaire. C’est encore le cas aujourd’hui où je vais vous parler d’une sainte soudanaise – la première de son pays – qui a été esclave avant de devenir religieuse : c’est sainte Joséphine Bakhita, fêtée le 8 février.
Joséphine Bakhita est née vers 1869 – elle ne savait pas elle-même la date exacte – dans le Darfour, au Soudan. À l'âge de neuf ans, elle fut enlevée par des trafiquants d'esclaves. Elle a souffert divers sévices avant d’être vendue, en 1882, au consul italien Callisto Legnani. Bakhita signifie « chanceuse » en arabe. C’est le nom que lui ont donné ses ravisseurs, nom qu’elle va garder toute sa vie car ses souffrances ont été telles qu’elle ne se souvenait plus de son nom.
Bakhita entre donc au service du consul d’Italie à l’âge de 14 ans. Sa situation change complètement car le consul la traite avec affection. Elle connaît la sérénité, même si sa famille perdue pour toujours lui manque encore. Quand le consul rentre en Italie, Bakhita l’accompagne. Dans la région de Venise, elle est au service de la famille Michieli. La mère de famille, Maria Michieli, demande à Bakhita de s’occuper de sa petite fille qui vient de naître : la petite Alice, surnommée Mimmina. La famille Michieli possède un hôtel à Suakin au Soudan. Les parents Michieli sont obligés d’y retourner et ils confient Mimmina et Bakhita à l’Institut des catéchistes de Venise tenues par les sœurs canossiennes.
Quand Bakhita avec la petite Mimmina arrive chez les canossiennes, elle ne connaît rien de la foi chrétienne. C’est pour elle une découverte libératrice. Elle découvre la foi chrétienne et y adhère immédiatement.
Au bout de 9 mois, les Michieli rentrent du Soudan et ils veulent récupérer leur fille et aussi Bakhita. Mais cette dernière refuse. Elle veut rester chez les canossiennes. La situation s’envenime. N’oublions pas que Bakhita est officiellement une esclave ! L’affaire est portée devant les tribunaux qui tranchent : étant donné que Bakhita a 20 ans et que l’esclavage n’existe pas en Italie, elle est libre de faire ce qu’elle veut de sa vie.
Bakhita reste donc comme elle le désire chez les sœurs canossiennes. Elle reçoit le baptême et la confirmation le 9 janvier 1890 des mains du patriarche de Venise, Mgr Domenico Agostini. Elle prend le nom de Joséphine Margaret Fortunata. Fortunata est la traduction italienne de Bakhita qui, je vous le rappelle, signifie « chanceuse ». Désormais, elle a un nouveau maître, Dieu lui-même.
Trois ans plus tard, Joséphine demande à entrer chez les sœurs canosiennes. Elle fait son noviciat à l'institut de catéchuménat de Venise. Le 8 décembre 1896, elle prononce ses premiers vœux à Vérone, la ville où les canossiennes ont été fondées. En 1902, ses supérieures l’envoie à Schio, dans la province de Vicenza, une petite ville située entre le lac de Garde et Venise. Joséphine résidera toute sa vie à Schio où elle occupe différents services simples : cuisine, lingerie, broderie, porterie de l’école où sa bonté touche tous les élèves. À partir de 1935, ses supérieurs lui demandent aussi de partager ses connaissances sur l’Afrique pour préparer des sœurs missionnaires à s’y rendre. Pour cette raison, Joséphine circule en Italie, accompagnée d’une autre sœur, allant d’un couvent à l’autre pour la formation des missionnaires et donner son témoignage.
Un jour, à Bologne, au cours d’une rencontre témoignage, un étudiant lui demande : « Que feriez-vous si vous rencontriez vos ravisseurs ? » Joséphine répond sans hésiter :
Si je rencontrais ces négriers qui m’ont enlevée et ceux-là qui m’ont torturée, je m’agenouillerais pour leur baiser les mains, car si cela ne fût pas arrivé, je ne serais pas maintenant chrétienne et religieuse.
Elle reconnaît donc mystérieusement la main providentielle de Dieu dans ce qui lui est arrivé lorsqu’elle était enfant. Elle va même plus loin en excusant ses bourreaux : « Les pauvres, dit-elle, peut-être ne savaient-ils pas qu’ils me faisaient si mal : eux ils étaient les maîtres, et moi j’étais leur esclave. De même que nous sommes habitués à faire le bien, ainsi les négriers faisaient cela, par habitude, non par méchanceté. » On voit bien qu’elle a profondément pardonné à tous ceux qui l’ont fait souffrir.
En 1927, Joséphine fait ses vœux définitifs. À Schio, la présence d’une religieuse noire ne passe pas inaperçue. Son humilité, sa simplicité et son sourire touchent le cœur des habitants de la ville qui se prennent d’affection pour elle et la surnomment « Madre Moretta » ce qui signifie « la petite mère noire ».
Pendant la deuxième guerre mondiale, la ville de Schio est visée par plusieurs bombardements, mais la ville n'est pas touchée. La population attribue cette protection à « la petite mère noire » dont la réputation de sainteté va grandissant.
Après la guerre, la santé de Joséphine décline. Elle promet :
Au paradis j'aurai du pouvoir et j'obtiendrai pour tous beaucoup de grâces…
Elle meurt le 8 février 1947 dans la maison de Schio où elle a vécu 45 ans.
La nouvelle de sa mort met la petite ville en émoi. Les habitants se bousculent pour rendre un dernier hommage à la « petite Mère noire ». Très vite, on parle de miracles obtenus par son intercession. Trois ans après sa mort, les canossiennes publient 6 pages de témoignages de grâces reçues par son intermédiaire, avec les noms de bénéficiaires.
Le procès de béatification commence en 1958. En 1992, saint Jean-Paul II la béatifie, et en 2000, il la canonise.
Pour conclure, je voudrais souligner un aspect de notre foi que la vie de sainte Joséphine Bakhita met en valeur de manière exceptionnelle : c’est notre foi dans la Providence.
Le regard que Joséphine porte sur les souffrances de son enfance, sur son enlèvement, sur son esclavage est particulier : elle voit la main de Dieu, la Providence à l’action dans ces événements. Rappelez-vous qu’elle a dit : « Si je rencontrais ces négriers qui m’ont enlevée et ceux-là qui m’ont torturée, je m’agenouillerais pour leur baiser les mains, car si cela ne fût pas arrivé, je ne serais pas maintenant chrétienne et religieuse. »
Cette attitude de Joséphine peut vous surprendre. Comment peut-elle voir la main de Dieu dans les terribles souffrances qu’elle a endurées ?
En fait, il y a beaucoup de saints qui ont vécu de la Providence de la même manière que Joséphine. Ils ont compris que Dieu les aime et que tous les événements de leur vie sont dans les mains de Dieu, même les événements douloureux.
Nous touchons ici quelque chose de vraiment mystérieux que les saints ont vécu de manière surnaturelle : c’est le mystère du mal.
Je vous cite, par exemple, une réaction de Thérèse de Lisieux face au mal de la maladie de son père qui est interné dans l’asile de fou de Caen. Elle écrit à sa sœur Céline : « il faut que notre père chéri soit bien aimé de Jésus pour avoir ainsi à souffrir » (LT 82).
Cette réaction peut vous paraître folle. Elle l’est en effet. Mais c’est la folie de l’amour.
On peut dire que le mystère de la Providence tel que le comprennent les saints et tel que sainte Joséphine Bakhita l’a compris pourrait s’énoncer de la manière suivante :
Dieu a toujours un meilleur plan !
C’est pourquoi, dans l’Exultet de Pâques, le diacre chante : « heureuse faute qui nous valut un tel Sauveur ». Le péché n’a pas empêché Dieu de réaliser son plan !
Dans la vie de Bakhita, ce mystère de la Providence se manifeste dans le fait que le terrible malheur dont elle a été frappée, Dieu l’a transformé en un plus grand bien.
Tout ce mal dans lequel on ne peut rien trouver de positif Dieu l’a transformé en ce que Bakhita reconnaît comme un plus grand bien : la découverte de la foi et sa vocation religieuse.
C’est ce qu’elle résume en disant :
" Si je rencontrais ces négriers qui m’ont enlevée et ceux-là qui m’ont torturée, je m’agenouillerais pour leur baiser les mains, car si cela ne fût pas arrivé, je ne serais pas maintenant chrétienne et religieuse."
Les saints nous invitent à ce saut extraordinaire dans la foi qui consiste à croire que rien ne peut empêcher Dieu d’être vainqueur du mal dans nos vies et que « tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu ».
Je vous dis ma conviction profonde : si nous croyons, si nous aimons Dieu, nous verrons aussi comme sainte Joséphine Bakhita la victoire de Dieu dans notre vie, peut-être pas durant notre vie terrestre, mais avec certitude au ciel : nous verrons, nous comprendrons et nous le louerons dans un bonheur éternel.
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