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"La fille de personne", une littérature en quête d'identité
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"La fille de personne", une littérature en quête d'identité

RCF,  -  Modifié le 17 juillet 2023
Chaque jeudi, on parle littérature, aujourd'hui Christophe Henning nous présente le roman de Cécile Ladjali "La fille de personne", chez Actes Sud.
Christophe Henning Christophe Henning

C’est le portrait d’une femme au début du XXe siècle, tout entière dévouée à la littérature. Luce Notte prépare une thèse sur les bibliothèques incendiées. Et pour financer ses études, elle est embauchée comme jeune fille au pair à Prague, dans la famille… Kafka.  En 1912, le jeune Franz, n’a encore rien publié, mais il noircit des pages de son écriture fiévreuse. Fascinée aussi bien par les œuvres disparues que celles en devenir, l’héroïne devient la confidente de l’écrivain naissant : « Franz m’a souvent confié sa peur de n’être rien d’autre qu’un fantôme et ses écrits des mirages ». Non seulement il peine à écrire, mais il se désespère : « Je n’invente rien, c’est affligeant. Je n’ai aucune imagination. Que voulez-vous, Luce, j’ai la fantaisie d’une pierre », confesse Kafka. Le drame, c’est qu’il ne cessa jamais de douter, ne souhaitant qu’une chose : détruire par le feu ses manuscrits. Tout comme une autre figure littéraire qui apparaît dans le roman, Sadegh Hedayat.

accoucheuse de rêves

Cet auteur iranien est comme un frère en littérature de Kafka. Dans son roman, Cécile Ladjali fait rencontrer en 1951 son héroïne devenue libraire et cet écrivain maudit, Sadegh Hedayat, doutant de lui-même, réfugié politique à Paris, brûlant chacune des pages pourtant noircies dans la douleur… Kafka en 1912 ; Hedayat en 1951 : Luce Notte est la protectrice de ces deux écrivains perdus, transpercés d’inquiétude. Les chapitres passent tour à tour de l’un à l’autre pour aller au plus profond du désespoir. Ils écrivent, mais à quel prix : « Pour moi qui ne suis pas écrivain, il n’est question que d’un accompagnement. Etre accoucheuse des rêves, celle qui allume la lampe à huile, apporte l’encre et le papier, confie la narratrice, qui avoue malgré tout : Il me semble n’avoir été que le témoin impuissant d’une mélancolie qui ne se partageait pas ». Peut-être les rejoint-elle, ces écrivains perdus, à travers sa propre quête : ne connaissant pas son père, elle est la fille de personne. Peut-être la littérature peut-elle faire office d’identité…

Deux écrivains torturés, une femme sans racine : un livre difficile ?

« Doit-on trouver quelque beauté au chagrin ? », s’interroge la narratrice. Peut-être ce livre est-il un éloge de l’écriture, qui soutient les existences les plus douloureuses. C’est un roman très construit, d’un style âpre, ciselé, qui joue avec le feu, nous entraîne dans les affres de la création littéraire et les tréfonds de l’âme humaine. De fait, le roman de Cécile Ladjali est grave, vertigineux, et en même temps empreint de poésie, d’une beauté brute, d’une certaines exigence de lecture qui nécessite notre attention. Car, écrit-elle encore, « privé de son lecteur, l’auteur n’est rien. Il n’est que le signataire d’un néant, d’une lettre muette, sourde et aveugle. C’est tout le sang du lecteur qui irrigue la carcasse sèche des livres. » On sort de ce livre plus fort.
 
 

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