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Hugo Micheron décrypte le jihadisme "made in France"

RCF,  - Modifié le 20 janvier 2020
Il y a une semaine, le premier jihadiste français condamné à son retour de Syrie était libéré de prison. Focus sur le jihadisme à la française, avec le chercheur Hugo Micheron.
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C’est l’une des plus vastes enquêtes menées sur les jihadistes français que signe le chercheur en sciences politiques, spécialiste de la radicalisation islamique, Hugo Micheron. "Le jihadisme français" (éd. Gallimard) est un livre important, fruit de cinq années de travail, en France, dans certains quartiers, certaines prisons. Mais aussi à l’étranger : en Turquie, en Irak et au Liban. Une thèse aujourd’hui publiée, et disponible pour tous.
 

2.000 Français selon les chiffres officiels

"Le jihadisme est un mouvement qui prend forme dans les années 80 en Afghanistan, à savoir la participation d’une frange d’islamistes à ce qu’ils appellent la guerre sainte. Il s’est développé dans les années 90 en Europe, en prenant petit à petit dans de nouveaux milieux, pour devenir un phénomène plus ou moins de masse entre 2012 et 2018 avec l’apparition notamment de Daesh, la dernière organisation en date après Al-Qaeda", résume Hugo Micheron.

Quand on évoque le jihadisme français, cela représente "2.000 Français officiellement, selon les chiffres du gouvernement, directement impliqués dans les filières de Daesh. Cela représente une augmentation de l’ordre du centuple par rapport au même nombre d’individus impliqués dans les réseaux en Bosnie dans les années 90. Sur 67 millions de personnes, c’est peu. Mais la période des attentats de 2015 à 2017 a été perpétrée par ces centaines d’individus" ajoute le chercheur en sciences politiques.

Hugo Micheron en a rencontrés. Notamment en prison. Et il rapporte leur raisonnement. "A 2.000, ils ont été capables de bousculer l’État sécuritaire en France. Leur but c’est finalement de continuer sur la croissance qu’ils ont connue ces dernières années, pour ne plus être 2.000 mais peut-être 20.000 et réussir à avoir l’ascendant. Il était extrêmement urgent de poser un diagnostic qui revienne sur les 20 dernières années, pour pouvoir prédire ce qui pourrait se produire sur les dix prochaines, et qu’on arrête de nier cette réalité, ou qu’on l’oublie entre deux attentats" lance le spécialiste de la radicalisation islamique.
 

Comprendre l'implantation historique des filières de recrutement

Contrairement à l’idée reçue, le jihadisme ne née pas spécifiquement dans les banlieues. Hugo Micheron dessine dans son livre une cartographie très fine de la mouvance jihadiste sur le sol national. Il en ressort qu’elle émerge dans certains quartiers, dans certaines prisons. "En France, les départs se sont produits dans tous les départements, mais il y a une concentration de ceux-ci dans dix à quinze zones. On se rend compte que les départs ont lieu dans certains quartiers, et plus précisément dans certaines barres d’immeubles. La géographie des départs ne recoupe pas la géographie de la marginalisation économique" analyse-t-il encore.

La réponse à ces différences de zones, malgré des difficultés socio-économiques similaires ? "La présence de prédicateurs historiques, liés à d’autres réseaux jihadistes. S’il y a une géographie, il y a aussi un passé, une histoire. Et c’est cette histoire géographique qu’il fallait faire pour comprendre les tenants et les aboutissants" lance Hugo Micheron, qui explique également l’importance de l’axe Trappes-Toulouse, avec la présence historique d’anciens du GIA algérien, qui misent sur place sur des groupes de jeunes pour enrôler. "Ces individus font du militantisme de base. Ils mettent en place des écoles privées hors contrat, des associations, ils font venir des prédicateurs etc".
 

La question du jihadisme en prison

Dans la troisième partie de sa thèse, Hugo Micheron tente de décrypter l’essor du jihadisme derrière les barreaux. "Il y a eu un énorme changement avec Daesh. Jusque là, il y avait quelques dizaines de jihadistes incarcérés. Avec la défaite de Daesh au Levant, à partir de 2016, il y a eu des retours de plus en plus importants, si bien qu’aujourd’hui il y a 500 jihadistes derrière les barreaux. L’administration pénitentiaire a eu du mal à anticiper les dynamiques. La prison est un espace où il y a des rapports de force très forts entre détenus. On n’a pas fini de penser la question jihadiste en prison" précise ce spécialiste.

Face à cela, les armes pour combattre le jihadisme, du moins au quotidien, sont simples. "Le savoir. Je sais qu’aujourd’hui on lit moins mais un livre ce n’est pas rien. J’ai mis un an et demi à écrire le mien. Le savoir et la connaissance permettront de produire des réponses. Deuxièmement, il faut qu’au niveau de l’État on arrête de penser les choses en termes de radicalisation. Le jihadisme ce n’est pas la même chose que la radicalisation. Dernièrement, il faut que la société civile se saisisse de ces enjeux. Il faut réinvestir ce territoire" conclut Hugo Micheron.

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