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La main autonome
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La main autonome

RCF,  -  Modifié le 5 octobre 2018
Cette semaine David Groizon vous parle d'une photo de la passation de pouvoir entre Gérard Collomb et Edouard Philippe.
Stéphane de Sakutin Stéphane de Sakutin

Une image lourde de sens. Au centre, on voit Gérard Collomb, et alors, comment vous le décrire ? Il a la tête des mauvais jours. Sa bouche se tord vers le bas, ses paupières, ses joues, tout semble peser des tonnes. Son front est couvert de rides. Il a les yeux perdus dans le vide. Comme disent les jeunes qui lisent Phosphore, il a l’air « au bout de sa vie », complètement amorphe, épuisé. Il me rappelle le Droopy des dessins animés de mon enfance, ce chien qui lance « you know what, I’m happy » sur un ton résigné et épuisé. Mais si son visage dit la fatigue, son corps se maintient. Le costume est impeccable. Et l’homme se tient droit, face à nous. Il n’est pas vouté, il n’a pas les épaules qui tombent. Mais bizarrement, sa main droite est tendue, elle serre une autre main. Enfin, il ne sert pas une autre main ! C’est une main qui a attrapé la sienne et qui la retient. Et cette main, c’est celle d’Edouard Philippe, le premier ministre, qui vient assurer l’interim. Et qui surgit dans le cadre.
 
C’est étonnant tout de même : ils ne se regardent pas. Quand on se serre la main, normalement, on se fait face, on se regarde dans les yeux. Là, le geste est réalisé de façon mécanique, sans aucune chaleur, sans même tenter de sauver les apparences. Gérard Collomb laisse sa main partir, comme si elle ne lui appartenait plus. Elle serre une autre main sans que le reste du corps soit solidaire de ce geste. Et la main qu’il serre surgit sur le côté gauche de l’image, comme détaché d’un corps. On ne voit qu’un bout de chemise blanche et de veste noire – c’est le premier ministre, mais cela pourrait être n’importe qui.
 
Cette posture de chien triste semble incongrue tant autour de l’ex-ministre
, c’est la République qui résiste et qui se dresse. Juste sur le côté, deux drapeaux : bleu blanc rouge, c’est la France. Et bien sûr, juste à côté, le drapeau de l’Union Européenne. Le bleu et les étoiles. Sur notre droite, deux gardes républicains, képis sur la tête, sabre levé, gant blanc, uniforme bleu, avec épaulettes majestueuses. Et derrière, c’est le tapis rouge, la pierre ancestrale des édifices. C’est le faste républicain, le decorum comme vous dites, Stéphanie, qui nous resitue la scène. Gérard Collomb n’est pas chez lui, épuisé par une semaine rocambolesque. Il est sur le parvis du ministère, en train de quitter la place Bauveau, un lieu de pouvoir, où se joue notre sécurité. Stéphane de Sakutin, le photographe, a saisi un instant décisif. Pas celui où Gérard Collomb s’est mis à faire la tête : ceux qui ont vu la cérémonie mercredi savent bien qu’il a tiré la grimace pendant 20 minutes. Mais là où d’autres ont fait une classique photo de mains serrées, après le discours de l’un, le discours de l’autre, Stéphane de Sakutin a su décaler son cadre, couper le Premier Ministre, pour mieux isoler un geste solitaire. Assez symbolique finalement du choix de l’ancien Ministre de l’intérieur, qui a décidé SEUL, contre l’avis même du président, qu’il voulait arrêter sa participation à l’aventure gouvernementale. Il fallait être assez alerte pour le saisir.

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