Laura-Maï Gaveriaux: "Erdogan a été réélu, c'est incontestable"

"Les élections en Turquie, c’est toujours une ambiance de fête. C’est un peuple qui a la passion du vote, qui a des élections depuis des décennies. Il y a une passion politique, mais il y avait aussi des enjeux extrêmement forts sur cette élection. On le sait, Erdogan était un peu moins bien placé que d’habitude. Les opposants d’Erdogan avaient de grands espoirs, tout comme ses partisans. C’était un week-end assez fort en émotion. Et l’opposition qui s’est ragaillardie ces dernières semaines est aujourd’hui dans la déception. On est dans l’incertitude de savoir quelle est la proportion exacte d’irrégularité dans les scrutins" explique Laura-Maï Gaveriaux, en direct d’Istanbul, reporter, et auteure de "Sales guerres" (éd. de l’Observatoire)

"Erdogan a fait une campagne extrêmement timide"

Le lendemain de cette élection s’est fait dans un relatif calme. "Il n’y a pas eu de violences à Istanbul. On rapport des incidents et des violences dans le Sud-Est, mais ce ne sont pas des informations confirmées. Il est certain que  dans cette région kurdophone, il y avait des enjeux extrêmement forts puisque le parti d’opposition pro-kurde jouait son entrée en Parlement" ajoute la reporter.

Beaucoup d’observateurs croyaient un deuxième tour possible, et n’imaginaient pas une victoire aussi rapide d’Erdogan. "Je me suis trompée. Erdogan a fait une campagne extrêmement timide en comparaison à ce qu’il avait l’habitude de faire. C’était un homme qui faisait des bains de foule incroyables, qui galvanisait les femmes, les enfants, les vieillards. On a le souvenir d’un Erdogan très conquérant. Cette fois-ci, il apparaissait comme fatigué. Ensuite, il a exaspéré une partie de la population. On pensait qu’il y aurait un second tour puisqu’il y avait en face de lui un candidat talentueux. Cela faisait longtemps qu’Erdogan n’avait pas trouvé un candidat à sa mesure" précise Laura-Maï Gaveriaux.
 

Une réélection incontestable d'Erdogan

Erdogan divise aujourd’hui la population. La société turque est polarisée autour de son président. La population qui le soutient "est extrêmement mélangée. Erdogan a relevé son pays. Aujourd’hui l’économie turque est en trompe-l’œil. Au-delà de ça, beaucoup de Turcs disent que sans Erdogan, cela aurait été pire. Cet argument vient de toutes les couches de la société. Erdogan est un homme du peuple. C’est un homme qui sait parler aux Turcs moyens, aux Turcs modestes. C’est l’homme fort. Mais il a eu longtemps les milieux d’affaire de son côté".

Après l’annonce des résultats dimanche soir, l’opposition a tout de suite dénoncé des fraudes. "Il y a eu des irrégularités, c’est certain. Il y a une tradition de manipulation des votes en Turquie. Elle n’a jamais été une grande démocratie transparente. Mais c’est un peu une généralité dans les pays émergents. Mais je ne pense pas que l’ampleur des fraudes puisse invalider les résultats. Je pense qu’on est à la marge. Ce serait vraiment méconnaître les Turcs que de dire que l’élection a été volée. Erdogan a été élu, c’est incontestable" analyse encore la journaliste, depuis Istanbul.