Promenons-nous dans les bois...

S’il n’était pas si tôt le matin, je me risquerais à chanter : "Promenons-nous dans les bois, pendant que le loup n’y est pas… ". Cette comptine, c’est le fond sonore qui conviendrait à merveille à la campagne de lutte contre le harcèlement des femmes dans les transports en commun. Les affiches sont partout dans le métro à Paris. Qu’y voit-on ? On y voit, dans une ambiance de conte de fées, mêlant la Belle et la Bête aux fables de La Fontaine, une femme apeurée, apparemment menacée par un requin, un ours, ou des loups.

La menace plane, au loin, à la périphérie. Au point où l’on en vient à se demander si cette menace est bien réelle, ou si, au contraire, la pauvre femme agrippée à sa barre du métro n’est pas tout bonnement en train de l’imaginer. La réalité du harcèlement est donc tout simplement escamotée.

Mais il y a plus encore : le harceleur, l’individu masculin qui harcèle, a lui-même disparu. Représenté sous les traits d’une bête sauvage, ours, loup ou requin, il n’existe plus. Et s’il n’est pas représenté, comment pourrait-il se sentir concerné ?

De plus, tout cela se passe aux frontières du monde animalier, ce qui fait du harcèlement un cauchemar de petite fille apeurée, et non un fait social. Et non un fait réel de société, quelque chose qui peut effectivement se produire.

Tout a donc disparu dans cette campagne : le harcèlement, le harceleur, et la société. Tout a disparu au profit d’une ambiance de petit chaperon rouge autour duquel rôde le loup.
Mais des loups, dans le métro, il n’y en a pas. Il n’y a que des hommes, bien réels, et autrement plus sauvages.

Mais quel homme pourrait se sentir concerné par des affiches qui ne le mettent même pas en scène ? Qui ne le représentent tout simplement pas ? Quelle femme pourrait se reconnaître dans ces personnages de cauchemar à la Walt Disney, où les méchants sont des monstres pas gentils et les femmes des petits êtres fragiles et menacés ?

Or, le harcèlement n’est pas un cauchemar de petite fille, c’est une réalité. Ce n’est pas une vague peur, c’est un fait que l’on peut, hélas, subir. Une femme dans un métro n’est pas un petit chaperon rouge. C’est un citoyen comme les autres, et qui a le droit, comme les autres, à la sécurité.