Après nos 55 jours passés confinés, pour la plupart d'entre nous, à entendre qu’il fallait rester-à-la-maison afin de protéger les autres et ne pas faire imploser nos services de réanimation, aujourd’hui voilà qu’il faut sortir. Sortir alors que le virus, s’il circule moins, reste pourtant actif, toujours là, menaçant, inquiétant, invisible.
Alors au-delà des raisons économiques, éducatives aussi, pourquoi sortir ? Je repense à Anne Dufourmantelle, psychanalyste et philosophe, à l’humanité exceptionnelle et qui
se tua accidentellement, il y a bientôt trois ans, en sauvant deux enfants de la noyade. Dans un beau livre sur l’éloge du risque, elle débute ainsi : "la vie est un risque inconsidéré pris par
nous, les vivants". Voilà. Voilà la raison de sortir.
Si hier pour rester vivant et ne pas nuire à autrui, il nous fallait rester calfeutrer, aujourd’hui, pour rester vivant, il nous faut sortir. Entre le devoir de se protéger et le devoir de retourner au danger de la vie, il faut se frayer un chemin. « Vivre dans l’amplitude », écrivait de son côté le philosophe tchèque PatoÄka, disparu sous la torture.
Il n’y a pas de petits risques : aimer, marcher, consoler, penser, parler, grandir, partir, travailler, construire… c’est à chaque fois le risque de vivre qui se dit, du creux de l’incertitude, du danger.
Et c’est bien parce qu’il y a un danger, qu’il nous faut refuser le repli, agir et demeurer dans une solidarité active les uns et les autres et les uns pour les autres. Accueillir notre peur, l’apprivoiser afin qu’elle ne vienne pas nous paralyser, nous verrouiller.
Le risque ou l’alliage du courage et de la liberté, dont tous ceux qui ont pris soin de nous et de notre société ont indiqué, presque ordinairement, le chemin.
Alors sortir avec précaution, avec attention et sens aigu de la responsabilité afin de ne pas mettre l’autre en danger. Oui absolument. Mais sortir et retisser du lien, de la relation, de la vie.
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