Le premier est professionnel. Il y a quelques années, à La Croix nous avions décidé de faire une grande enquête pour trouver, disait-on « les nouveaux abbés Pierre, sœur Emmanuelle et Jean Vanier de l’Église du XXI eâ¯siècle ». Nous cherchions donc des « héros » catholiques, à même de nous inspirer. Second souvenir, plus personnel, lors de ma première rencontre avec Jean Vanier. Nous étions un petit groupe, à Trosly, le lieu de la fondation de l’Arche, et il y avait eu une discussion très libre, où Jean Vanier nous répondait de manière incroyablement profonde. En sortant de la pièce, je me souviens très précisément m’être dit : j’ai rencontré un saint.
Je me garderais bien, ce matin, de rentrer dans la complexité d’une personnalité clivée, semble-t-il, comme celle de Jean Vanier, dont j’ignore à peu près tout. En revanche, je m’interroge sur notre penchant, assez catholique, de toujours vouloir chercher des personnages extraordinaires, des héros, des saints vivants, comme si c’était un gage de la vérité de notre foi. Comme si nous avions besoin de croire en des personnages en contact direct avec Dieu, plutôt que de croire en Dieu.
Il y a une tendance à l’idolâtrie dans la religion catholique, du fait de toute une tradition qui a, au long des siècles, n’eut de cesse que de fabriquer des saints pour la piété populaire. Certes, on ne devient saint qu’après sa mort, mais ce culte de la sainteté a entraîné un mythe de la perfection absolue du croyant, qui bien souvent nous écrase. Nos imaginaires de catholiques sont remplis de ces histoires édifiantes de saints parfaits, si parfaits qu’ils en sont complètement inhumains. Cette idolâtrie, dont d’ailleurs la papolatrie est une des formes, nous porte à révérer certaines personnes de leur vivant comme des demi-dieux. Au point de perdre tout esprit critique, et surtout toute liberté.
Cette révérence est mortifère. Pour nous, car nous abandonnons notre liberté, au fondement de notre foi. Mais surtout pour ces soi-disant héros, enfermés dans un rôle dont ils peinent à se départir.
Pour moi, le plus triste, dans toute cette histoire, ce n’est pas ce que Jean Vanier a fait, même si c’est terrible pour les victimes. C’est qu’il ait été incapable de le reconnaître et de demander pardon avant de mourir. Et que si l’Arche a eu le courage d’entreprendre ce travail de vérité, elle s’est bien gardée de le faire de son vivant. Comme si, là encore, il avait fallu « préserver » une statue indéboulonnable. Pêcheurs, nous le sommes tous. Mais c’est dans notre capacité à reconnaître et accepter nos erreurs que se joue la vérité. Après tout, nous ne devons jamais oublier que l’Église a été fondée non par des surhommes, mais par un menteur et un criminel. Pierre et Paul. Mais l’un comme l’autre ont reconnu leurs fautes, et demander pardon. C’est toute la différence.
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