La bataille de la baie de Chesapeake, pendant la guerre d'indépendance américaine, a forgé l'identité collective de la Marine nationale. Depuis trois ans, elle est commémorée chaque 5 septembre. A Brest, port de départ de l'escadre de De Grasse en 1781, une cérémonie a eu lieu à la Préfecture maritime de l'Atlantique. Décryptage de l'importance de cette bataille, avec Hervé Bedri, en charge du patrimoine historique de la Marine nationale pour la façade atlantique.
Brest, c'est vraiment le port de la guerre d'indépendance américaine ?
C'est de Brest que va partir l'ensemble des soldats qui vont permettre aux armées de George Washington de l'emporter. D’ailleurs, le siège de Yorktown en 1781 marque un tournant décisif dans le conflit, qui dure grosso modo depuis 1771, entre les treize colonies initiales et leur maison-mère, le Royaume-Uni. Ce conflit va rapidement s'achever après, par le traité de Paris en 1783 qui consacre l'indépendance de ces treize colonies et donc la naissance des États-Unis d'Amérique.
Et la bataille de la baie de Chesapeake n’est pas importante que pour la Marine, mais pour Brest aussi...
Brest, c'est évidemment la ville, mais c'est aussi la Marine. N’oublions pas que la Marine s'installe ici en 1631, sur décision du cardinal de Richelieu et que l’on va passer à cette date de 1 500 habitants au maximum à, un siècle plus tard, grâce à l'installation de cet arsenal, plus de 28 000 habitants ! Louis XVI va prendre la décision de s'impliquer officiellement dans la guerre d’indépendance américaine et il va le faire en 1778. Il signe un traité d'alliance avec George Washington où on officialise l'entrée en guerre de la France. Là, on entre vraiment dans une perspective géostratégique qui fait que le soutien français en termes d'armement et de combattants, va devenir absolument décisif, et en particulier le 5 septembre 1781, lors de la bataille de la Chesapeake.
Pour avoir une politique internationale, c'est sur la mer que cela se joue !
Une quarantaine de bateaux va partir de Brest, dont 28 frégates, avec en moyenne 800 hommes par bateau, sous les ordres du comte de Grasse. Et 5 000 soldats d'un corps expéditionnaire sous les ordres de Rochambeau. Ce sont de beaux bateaux puisque on est dans une phase de renouveau de la Marine que Louis XVI a impulsée. Louis XVI, contrairement à son grand-père Louis XIV, a un vif intérêt pour la Marine et il comprend que pour avoir une politique internationale, c'est sur la mer que cela se joue. On va avoir à Brest, par exemple, un ingénieur naval remarquable, Sané, va concevoir un bateau magnifique : le vaisseau de 74 canons. Il a toutes les qualités de navigation, de manœuvrabilité, et une puissance de feu suffisante pour tenir tête et battre les autres puissances navales qui s'affrontaient à la France. C’est bien de Brest que l'impulsion et le soutien va partir pour aider les insurgés. Plus de 20 000 Français vont participer à cette guerre d'indépendance, de près ou de loin, et près de 6 000 vont y laisser la vie, dont de nombreux bretons.
Comment s’est déroulée cette bataille de la Chesapeake ?
Le 5 septembre 1781 au matin, une frégate de surveillance signale à l'escadre de De Grasse, qui est au mouillage dans la baie, qu’une escadre anglaise approche. Immédiatement, il va sonner le branle-bas et ordonne d’appareiller, alors qu’au début les conditions sont en faveur de l'escadre anglaise : les vents sont pour eux, ils ont presque un effet de surprise et ils sont déjà en ordre de bataille alors que l'escadre de De Grasse est au mouillage. Il faut vite appareiller et c'est pour cela qu'on va avoir, par exemple, des bateaux qui auraient dû être à l'arrière de l'escadre et qui vont se retrouver en tête. Le génie tactique de De Grasse, c'est de laisser faire, et de dire que les premiers navires prêts partent et se mettent en ordre de bataille.
Il va aussi profiter d'erreurs tactiques des Anglais. La première erreur c'est que, alors qu’ils pouvaient sans problème couper l'accès à la baie, ils ne vont pas le faire... La deuxième erreur est plus une erreur de conception : le système de communication des ordres se fait par des pavillons dans toutes les Marines du monde à cette époque-là, et le système est complexe. Sauf qu'en France on l'a simplifié, dans le cadre de ce renouveau de la Marine voulu par Louis XVI et le code français qui était de 40 pavillons va passer à 20 et c'est beaucoup plus simple. Surtout, on va mettre fin à un système très complexe : par exemple, un pavillon rouge ne voulait pas dire la même chose s'il était dans le mât principal, à l'arrière ou à l'avant... Les Anglais, eux, n'ont pas simplifié et, en plus, dans l'escadre qui va affronter De Grasse il y a deux composantes, l’une qui vient du Royaume-Uni et qui a son système de communication et puis une escorte qui vient des Antilles et qui a un système différent !
Du côté anglais, c'est une vraie défaite
La combativité et le génie tactique de De Grasse vont faire que, à la fin, il y a simplement un navire français de légèrement abîmé et peu de blessés, peu de morts. Par contre, du côté anglais, c'est une vraie défaite : ils ont au minimum neuf vaisseaux sérieusement touchés, dont un ne pourra plus jamais naviguer, et puis un nombre de morts qui se compte par centaines. De Grasse va ensuite verrouiller la baie de la Chesapeake et permettre ainsi la fin du débarquement des troupes. Quelques jours plus tard, c'est le siège de Yorktown et la reddition du général Cornwallis, mettant quasiment un terme définitif à cette guerre d'indépendance.
Beaucoup de Bretons y ont participé ?
Il y a un vrai tribu laissé par la population bretonne pour l'indépendance américaine. Les marins bretons figurent parmi les plus nombreux à embarquer, puisque ce sont souvent des gens issus de la pêche et qui sont réquisitionnés. Depuis Colbert, on a les registres maritimes qui permettent, en cas de conflit, de savoir qui sait naviguer et de les réquisitionner. Les Bretons vont constituer une part non négligeable de ceux qui embarquent sur l'escadre de De Grasse. On peut retrouver sans problème les rôles d’équipages dans les archives du Service Historique de la Défense.
Et cette bataille est célébrée par la Marine nationale chaque 5 septembre depuis trois ans...
Cette commémoration, voulue par le chef d'état-major de la Marine à l'époque, l'amiral Vandier, s'inscrit dans une remontée des tensions où finalement les enjeux stratégiques recommencent à se jouer sur la mer. Commémorer la bataille de la Chesapeake, c'est rappeler à tous et en premier lieu aux marins qui sont parfois trop modestes, que la marine française est une très belle Marine, qu'elle a d'excellents chefs depuis très longtemps – De Grasse en témoigne - et en rappelant à ces marins que cette bataille a mis en exergue toutes ces qualités, on souligne les leurs. Voilà dans quelle dynamique le chef d'état-major de la Marine a voulu inscrire cette célébration.
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