Début octobre, la région Grand Est a lancé le chantier d'un nouvel espace au Mémorial d'Alsace-Moselle qui devrait ouvrir à l'automne 2025. Un projet d'envergure porté par un comité d'historiens et des associations mémorielles.
La semaine dernière, la région Grand Est a lancé un grand chantier en contrebas du Mémorial d'Alsace-Moselle à Schirmeck avec, en guise de première pierre, une brique de verre. Il s'agit des bases d'un futur mur où seront affichés de manière numérique les noms de 38 000 personnes mortes et disparues pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce projet d'envergure est porté par un comité d'historiens spécialistes de la période dans la région, à qui revient la tâche de vérifier et valider les informations.
L'équipe de chercheurs qui compte aussi un allemand, recoupe ainsi des données complexes issues d'archives familiales et militaires, sans oublier les associations mémorielles souvent composées des descendants des victimes.
Né il y a une trentaine d'années, ce Mur des Noms est issu du désir de reconnaissance "des familles en souffrance" selon l'expression de Bernard Fischer, vice-président de la Région qui suit l'initiative depuis ses débuts. La liste des personnes concernées s'est étoffée et intègre désormais les soldats français, les incorporés de force dans la Waffen-SS (brigade porteuse de l'idéologie nazie de l'armée allemande, ndlr), les Malgré-nous, les Tziganes, les témoins de Jéhovah, les homosexuels, les Juifs, et les résistants.
Le projet avait pourtant suscité la polémique lorsqu'il avait été question de mélanger, sans distinction, les alsaciens et mosellans morts sous uniforme allemand, incorporés de force, et des personnes tuées par des soldats sous uniforme allemand comme les juifs, les résistants, ou les soldats français. Pour répondre à ces critiques, les historiens ont opté pour la nuance: les noms des disparus pourront apparaître dans plusieurs "catégories".
"ll nous paraissait important de remettre ces personnes dans leur trajectoire collective de groupe, mais en introduisant de la complexité, explique Frédérique Neau-Dufour, historienne chargée de la stratégie mémorielle de la Région Grand Est. Il y a des personnes qui ont été à la fois incorporés de force et résistantes ou réfractaires. Il y a eu des Tziganes qui ont été à la fois victimes en tant que tziganes, mais aussi en tant qu'incorporés de force. Et il y a eu des juifs résistants. Nous essayons de montrer à la fois que les gens sont dans une catégorie sans qu'il y ait pour autant d'étanchéité. Les vies humaines, elles, transcendent toujours les cases où on veut les positionner."
Cette option pour la nuance devrait être en outre facilitée par son mode de présentation numérique. Il sera par exemple possible de sélectionner le nom d'un incorporé de force (Alsacien mobilisé dans l'armée allemande pendant l'Annexion, ndlr) qui aurait été réfractaire ou tué en tant que Résistant. Il pourra ainsi apparaitre à la fois sur le mur des incorporés de force et sur la partie des résistants.
L'architecte a prévu des affichages variés pour découvrir des mini biographies et des photos pour "rentrer un peu dans l'âme et la vie des gens, dans ce qu'ils aimaient faire dans leur famille, et voir qu'au-delà des noms, il y a des destins brisés à chaque fois" selon Frédérique Neau-Dufour.
Bien que les personnes dont le nom figurera dans cet espace aient été tuées pour des raisons différentes, toutes se retrouvent désignées sous la même bannière : celle de "victime de guerre". La désignation a émergé au fil du projet et l'évolution des mentalités. "C'est une notion qui évolue surtout dans la mémoire puisqu'on a vu se développer une sorte de conscience victimaire, analyse Frédérique Neau-Dufour, anciennement directrice du Centre européen du résistant déporté (CERD) au Struthof dans le Bas-Rhin. Un nombre toujours croissant de personnes se sentent investies d'une mission de faire reconnaître de nouvelles victimes."
Une "bonne chose" pour l'historienne qui reste tout de même "prudente" avec une notion "floue, qui peut s'appliquer à peu près à tout mais reste très pratique."
'L'unanimité, s'est faite très vite au Conseil scientifique pour décider que les noms devaient être tous rassemblés dans un monument. La rationalité et la compréhension de l'histoire impose pourtant que l'on distingue ces différentes personnes en fonction des raisons pour lesquelles elles sont mortes, parce qu'elles ont des itinéraires très différents."
Sur le futur monument pourront ainsi figurer des personnes tuées ou portées disparues et qui dans tous les cas, ont perdu la vie. "C'est vrai qu'on a une catégorie qui s'appelle "Les victimes de la Shoah" et des autres persécutions, parce que là, elles ne sont pas mortes du fait d'avoir été engagées, elles sont mortes au nom de ce qu'elles étaient. Ce qui est très différent des victimes civiles qui ont péri au mauvais hasard d'un bombardement ou d'une balle perdue."
A l'heure actuelle, 38 000 noms sont déjà prévus, sur une base appelée à s'enrichir de manière interactive, avec les compléments des visiteurs qui pourront soumettre leurs données au comité scientifique chargé de recouper les sources avant publication. Une démarche encouragée par la Région, d'après Frédérique Neau-Dufour : "C'est très important pour nous que ce monument ne soit pas la propriété des historiens, mais le fruit d'une participation citoyenne la plus large possible."
L'espace se veut donc un lieu de mémoire, mais aussi de recueillement. Des espaces sont prévus pour que les descendants des victimes puissent déposer des gerbes ou... organiser des cérémonies mémorielles religieuses. "Si les demandes se font dans le sens de la mémoire et correspondent au cahier des charges du monument, nous pourrons répondre favorablement" affirme ainsi Bernard Fischer.
Le projet du Mur des Noms représente un coût global de 3,7 millions d’euros, pris en charge à hauteur de 1.7 millions par la Région Grand Est, 1,6 millions d'euros par l’Union européenne (fonds FEDER) et le ministère des Armées (350 000 euros).
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