Victime d'un blocus azéri depuis le mois de décembre, plus d'une centaine de milliers d'Arméniens sont strictement confinés dans le Haut-Karabagh, dans l'indifférence internationale la plus complète. Une région symbolique à l'histoire complexe.
Le 12 décembre dernier, les Arméniens du Haut-Karabagh n'ont pu que constater le blocage du corridor de Latchine, unique voie d'accès entre l'Arménie et cette région enclavée, par une centaine de prétendus éco-activistes azerbaïdjanais. Le motif prêterait à rire s'il ne masquait une immense catastrophe humanitaire "120 000 Arméniens du Haut-Karabagh, dont 30 000 enfants, font face à un blocus économique et physique qui les asphyxie depuis décembre dernier", s'inquiète Tigrane Yégavian, chercheur à l'Institut chrétiens d'Orient (ICO) et collaborateur de la revue Conflits. "Les denrées arrivent au compte-goutte depuis l'Arménie", détaille-t-il, ajoutant qu'il n'y a "plus de monnaie qui circule, mais des coupons de rationnement".
Ce qu'ils font depuis deux ans, c'est une guerre psychologique pour rendre le quotidien des Arméniens de l'Artsakh impossible
Le géopolitologue précise également qu'il n'y a "plus accès aux médicaments comme avant, et il est extrêmement difficile pour les personnes âgées d'être évacuées en Arménie pour se faire soigner", ainsi qu'aux "enfants d'avoir une scolarité et une vie normales". En 2020, six semaines de combats meurtriers pour le contrôle du Haut-Karabagh avaient abouti à un fragile cessez-le-feu sous l'égide de la Russie. "Ce qu'ils font depuis deux ans, c'est une guerre psychologique pour rendre le quotidien des Arméniens de l'Artsakh impossible", décrit Tigrane Yégavian.
Revendiqué par l'Azerbaïdjan depuis que Staline l'y a rattaché en 1921, le Haut-Karabagh est un territoire où vivent quasi-exclusivement des Arméniens. Théâtre d'une guerre sanglante au début des années 1990, la région s'est de nouveau trouvée au centre d'un conflit entre ces deux nations, en 2020. Culturellement, l'enclave est donc arménienne et symbolise le destin de ce pays constamment malmené par ses voisins au cours de son histoire. "Le Haut-Karabagh, ou Artsakh de son nom arménien, est à la fois le berceau et le bouclier de la nation arménienne, explique Tigrane Yégavian. Le berceau, car c'est là que l'Arménie est née, les monastères et ruines archéologiques l'attestent". Mais aussi le bouclier, en témoigne un "relief extrêmement montagneux qui fait que le Haut-Karabagh a toujours eu une population arménienne qui s'est maintenue malgré les multiples invasions qui ont ravagé cette région".
C'est là que l'Arménie est née, les monastères et ruines archéologiques l'attestent
Alors qu'il s'agit rien moins selon lui qu'un "nettoyage ethnique", le géopolitologue condamne le silence international depuis décembre. "Les chancelleries occidentales sont dans une perspective d'approvisionnement en gaz et en pétrole azerbaïdjanais au prix des civils arméniens", fulmine Tigrane Yégavian. En juillet 2022, l'Union européenne annonçait un accord censé doubler ses importations de gaz naturel en provenance d'Azerbaïdjan. "L'Arménie est un pays où les Occidentaux n'ont pas d'intérêts. Tout ce qu'ils veulent, c'est se débarrasser de la présence russe dans le Caucase", considère-t-il. Il s'étonne d'ailleurs qu'Ilham Aliyev, le président au mieux belliqueux, sinon carrément génocidaire de l'Azerbaïdjan, ne suscite pas le même émoi international que Vladimir Poutine. "Vis-à-vis de l'Ukraine, on a un vrai deux poids, deux mesures, et je dirais même des émotions à géométrie variable".
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