Sa mort a pris de court tous les Tchadiens : Idriss Déby Itno n’aurait pas survécu à ses blessures, alors qu’il dirigeait ses troupes contre les rebelles, dans le nord du pays. Ironie terrible du calendrier : le président du Tchad venait tout juste d’être officiellement réélu, le lundi 19 avril, pour un 6e mandat avec presque 80% des voix. Un score qui rappelle à quel point la démocratie est toute relative, sur place.
Et les choses ne se sont pas améliorées ces derniers jours : après la mort du président, l’un de ses fils, Mahamat Idriss Déby, a décidé de dissoudre l'Assemblée nationale et le gouvernement. Il occupe désormais les fonctions de président de la République, chef de l'État et chef suprême des Armées. C’est lui qui est à la tête d’un Conseil militaire de transition très critiqué. "Ce conseil s’est autoproclamé et a pris la décision de suspendre la Constitution puisqu’elle prévoyait d’installer un gouvernement dans les 45 prochains jours alors qu’il se donne 18 mois, explique Roland Marchal, chercheur au Centre de recherches internationales (CERI) de Sciences Po Paris. Donc, ce ne sera pas accepté : d’autres composantes de la garde présidentielle et de l’armée tchadienne se demandent pourquoi c’est le fils qui devrait régner alors qu’il n’y a pas de tradition dynastique."
Sur place, ce début de transition politique raté inquiète les citoyens : "Cela peut être un déclenchement des conflits au niveau régional, ethnique et communautaire", redoute Jacques Nagarassal, coordinateur local de Tournons la page, un mouvement citoyen qui cherche à promouvoir la démocratie en Afrique.
Autre préoccupation : l’avancée des rebelles du Front pour l'alternance et la concorde au Tchad (FACT), qui serait donc à l’origine de la mort d’Idriss Déby Itno. Ces rebelles ont rejeté le Conseil militaire de transition, en indiquant qu’ils allaient poursuivre leur offensive vers la capitale, N’Djamena. D’après Antoine Glaser, journaliste et spécialiste de l’Afrique, il va donc falloir surveiller la frontière avec le sud de la Libye. "Cet espace reste une armurerie à ciel ouvert, souligne-t-il notamment. Le vrai danger, c’est de savoir si d’autres groupes que le FACT pourraient s’engager maintenant que le Tchad est déstabilisé."
Affaibli sur le plan interne, le pays pourrait en tout cas perdre en influence régionale, alors qu’il était jusque-là un pilier de la lutte antiterroriste au sein du G5 Sahel et de l’opération Barkhane, menée par la France. Les Français comptait d’ailleurs beaucoup sur cette armée tchadienne aguerrie : "Les deux pays fiables, sur le plan militaire, sont la Mauritanie et le Tchad, d’après Antoine Glaser, qui vient de publier Le piège africain de Macron, chez Fayard. C’est pour cela que la mort d’Idriss Déby Itno a eu un tel effet de sidération à l’Elysée et dans les administrations françaises qui suivent les dossiers africains. Elles n’ont pas de plan B."
Emmanuel Macron sera d’ailleurs présent, ce vendredi 23 avril, aux obsèques d’Idriss Déby Itno, à N’Djamena. Une façon, peut-être, pour le président français d’amorcer la suite de l’opération Barkhane. "Il va sans doute y avoir une tentative de se tourner vers les pays du Golfe de Guinée pour monter une stratégie commune de lutte contre le terrorisme", envisage Caroline Roussy, chercheuse à l’Institut de relations internationales et stratégiques. En attendant, le Tchad lui-même est devenu une cible potentielle : "Pendant qu’on se dispute le pouvoir, s’inquiète Jacques Nagarassal, les terroristes ont le terrain libre et vont pouvoir commettre des exactions dans nos provinces."
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