Le père Laurent Bissara est prêtre des Missions Étrangères envoyé ad vitam en Inde pour témoigner auprès des plus pauvres. Plus précisément, il est le successeur du père François Laborde, l’inspirateur de la cité de la joie, au milieu des pauvres de Calcutta en Inde. Qu’est devenue la cité de la joie, dont le vrai nom est “Howrah South Point” ? Comment évolue la pauvreté dans le pays le plus peuplé du monde ? De passage en Belgique, il répond au micro de Jacques Galloy.
Howrah South Point (HSP) a vu le jour dans les bidonvilles de Calcutta grâce au Père François Laborde. Ayant vécu neuf ans dans des conditions précaires avec les plus pauvres, il leur a demandé ce qu'il pouvait faire pour eux. Leur réponse fut surprenante : ils voulaient une étude du soir pour leurs enfants. Cela a conduit à la création d'une première association, Seva Sangh Samiti. Plus tard, nommé dans une paroisse, il a développé des foyers pour les enfants pauvres et handicapés, des écoles et des services de santé. Aujourd'hui, HSP s'occupe des enfants des bidonvilles de Calcutta et des enfants des travailleurs des plantations de thé à Jalpaguri, au nord de l'Inde.
Le père Laurent Bissara, successeur du Père Laborde, est devenu prêtre à 46 ans. Ayant lu "La Cité de la Joie", il a été guidé par la providence et, après avoir rencontré le Père Laborde et visité les foyers, il a été conquis par les sourires des enfants. Les premières années ne furent pas simples ni de tout repos, ayant dû affronter en même temps l’adaptation à une nouvelle langue, une nouvelle culture et un climat difficile, tout en assumant de lourdes responsabilités. Le Père Laurent est de passage en Europe pendant trois mois pour la première fois depuis son départ pour l’Inde il y a 6 années. Les donateurs et amis de cette œuvre n’avaient plus eu la visite des équipes de la Cité de la joie depuis 8 années.
HSP compte plus de 220 employés et trois branches principales : les foyers pour enfants, les soins de santé, et l'éducation. Les foyers accueillent des enfants issus de milieux très précaires, souvent exposés à la violence domestique, au mariage précoce, et parfois au trafic d'enfants. HSP les sort de ces conditions pour leur offrir un environnement sain et sécurisé, dans une atmosphère familiale et joyeuse.
En matière de santé, HSP s'occupe des enfants ayant des malformations orthopédiques, offrant des soins de physiothérapie et, si nécessaire, des chirurgies correctives. HSP accompagne également 500 femmes enceintes dans les bidonvilles pour améliorer leur nutrition, accompagner la grossesse, et les inviter à accoucher à l’hôpital. Après la naissance de l’enfant les équipes veillent à son bon développement pendant les trois premières années qui sont cruciales pour sa santé. Enfin, le volet éducatif comprend quatre écoles formelles, cinq écoles non formelles dans les bidonvilles et plantations de thé pour les enfants déscolarisés, ainsi que deux écoles spéciales pour enfants handicapés, visant à leur apprendre l'autonomie.
Le Père Laurent Bissara est actuellement en France, en Italie, en Suisse et en Belgique pour témoigner de cette œuvre et collecter des fonds nécessaires à son expansion. En Inde, malgré les avancées technologiques, des millions d'enfants ne sont pas scolarisés. HSP a besoin de fonds pour ouvrir de nouvelles écoles dans les bidonvilles et plantations de thé, pour accueillir davantage d'enfants dans les foyers, et pour étendre son soutien à davantage de futures mamans dans les bidonvilles. Le budget annuel d'HSP est d'environ 750 000 €, et chaque euro compte. 85 à 90% des dons viennent d'Europe et 15% proviennent des ventes de leurs produits de la ferme ou leurs produits artisanaux et de donateurs locaux. Actuellement, ils cherchent à collecter 50 000 € pour financer de nouveaux projets et agrandir un foyer pour étudiants.
Les contributions permettent de soutenir des enfants à raison de 40 € par mois pour un enfant dans un foyer et 80 € pour un enfant handicapé. L'objectif est d'assurer la continuité et l'expansion de cette mission vitale pour les plus pauvres en Inde.
Le Père Laurent Bissara a été marqué par plusieurs évènements de son enfance : l’élection de Jean-Paul II en 1978 quand il avait 7 ans et plus tard, en mai 1981, par l'attentat de la place Saint-Pierre contre ce même pape. C’est Jean-Paul II qui a été l’inspiration de sa vocation de prêtre. Bien que ce chemin ait été long, il a finalement été ordonné à l'âge de 46 ans. Avant d’entrer au séminaire, il a travaillé plus de 10 ans en Italie en tant que chef d'entreprise dans le secteur de l'électronique grand public et de l'informatique, ainsi que dans la photographie, au moment de l’avènement du digital. Il a créé ou développé successivement la filiale italienne d’une entreprise française, japonaise puis américaine. C’est au cœur de sa carrière professionnelle, à laquelle il manquait un sens, qu’il a retrouvé sa vocation religieuse.
Le décès de Jean-Paul II en 2005 a été un tournant majeur pour Laurent. Expérimentant la perte d’un père, il a décidé d'assister à ses funérailles à Rome, un acte de foi significatif après une longue période de léthargie spirituelle. Cela l'a conduit à retourner à la messe et à approfondir sa foi. Puis, à partir de 37 ans, il a poursuivi des études de philosophie puis de théologie pendant presque dix ans, d’abord au diocèse de Paris, puis chez les Capucins avant de trouver sa place aux Missions Étrangères.
C’est la figure de Charles de Foucauld que le Père Laurent Bissara cite spontanément comme celui qui l’inspire, y trouvant un parallèle avec sa propre conversion. Ce dernier, après une vie dissolue, a vécu une rencontre avec le Christ qui a transformé sa vie. Foucauld, connu pour son esprit d'aventure et son amour de l'eucharistie, a exploré le Maghreb déguisé en marchand juif, a vécu à Nazareth et dans le désert de Tamanrasset. L'intégralité de sa vie, marquée par la recherche de sa vocation, par la fréquentation de l’Eucharistie et de l’adoration, puis sa vie simple au milieu des non-chrétiens, a profondément marqué le père Laurent.
Le film "Un jour sans fin" touche particulièrement Laurent, car il raconte avec beaucoup d’humour et de finesse l'histoire d'une conversion tardive à travers l'apprentissage de l'amour et de la liberté. En littérature, "La Cité de la Joie", écrit par Dominique Lapierre, a été pour lui l’occasion bouleversante de découvrir l’Inde et Calcutta, lui inspirant le désir de servir les plus pauvres. Ce livre, traduit en 31 langues et tiré à plus de 40 millions d'exemplaires a ensuite été adapté librement au cinéma en 1992 par Roland Joffé. Aujourd'hui, le Père Laurent travaille en Inde au milieu des enfants exclus, des jeunes mamans et des plus pauvres. Il trouve son réconfort dans l'adoration eucharistique et le soutien de sa communauté, deux piliers essentiels pour traverser la solitude et les difficultés quotidiennes.
Sa citation biblique préférée est : "Ceci est mon corps livré pour vous
Cette citation est celle de Jésus au moment où il instaure l’Eucharistie. Elle résume pour le Père Laurent le don de soi de manière très incarnée : subir le climat, souffrir les piqûres de moustique, se laisser « manger » par ceux auxquels il a été envoyé. Son engagement est quotidien, passant par de petits actes de service et d'amour envers ceux qu'il sert en Inde. Lorsqu’on l’interroge sur un lieu inspirant, Laurent évoque une chapelle en Ardèche construite avec deux amis, lieu de prière et de ressourcement, symbolisant son lien profond avec la foi et la tradition chrétienne de l’Europe.
La vie et les engagements du père Laurent Bissara montrent une quête constante de sens et de foi, nourrie par la prière et le service, inspirée par les figures de saint Jean-Paul II, de saint Charles de Foucauld et du père Laborde. Derrière sa barbe et sa voix paisible, il est guidé par un amour profond pour l'eucharistie et le désir de servir dans la mission.
Calcutta est souvent perçue comme plus pauvre comparée à d'autres grandes villes indiennes comme Bangalore. Malgré ses avancées technologiques et économiques, avec par exemple l’envoi récent d’une fusée sur la Lune, l’Inde demeure un pays où les inégalités sont marquées : 1% de la population possède 60% des richesses, tandis que deux tiers des habitants vivent sous le seuil de pauvreté. Ainsi, le besoin d’aide reste immense, et des associations comme HSP s’efforcent d’accomplir leur part. Howrah South Point est bien plus qu’une ONG, c’est une communauté spirituelle. Elle incarne cette mission, inspirée par le Père Laborde, en promouvant la fraternité et le dialogue entre hindous, musulmans et chrétiens, un dialogue de vie, de service et de prière.
Le père Laurent explique: “L’interreligiosité est cruciale pour nous.
« Par exemple, bien que je célèbre l'eucharistie seul dans un petit oratoire quotidiennement, notre communauté se rassemble le dimanche. Nous organisons des prières interreligieuses de manière simple : dans nos locaux, vous trouverez des images de Jésus, Krishna, Shiva, et Bouddha, et les enfants prient ensemble, souvent en commençant par un signe de croix.
« Ici en Inde, il est tout à fait habituel de prier ensemble, même si l’on appartient à des traditions différentes. La messe du dimanche réunit entre 60 et 70 personnes, bien que seules quelques-unes communient. De même nous participons aux « pujas » hindoues ou aux fêtes musulmanes. Dans la ville d’Howrah, située à la périphérie de Calcutta, de l’autre côté du fleuve Hoogly, l’autre nom du Gange, deux tiers des habitants vivent dans des bidonvilles. Là-bas, on n’y croise pratiquement pas d’occidentaux. Lorsque le père Laurent se déplace, il suscite toujours l’étonnement. Après six ans de présence, les voisins le connaissent, mais il reste une figure inhabituelle dans cette communauté. Il poursuit : “La simplicité de notre quotidien, au cœur de ce quartier populaire, met en lumière la nécessité et l'importance de notre mission, tant matérielle que spirituelle.”
En Inde, la pauvreté reste un problème majeur, mais un autre défi émerge avec la modernité qui déferle sur le pays, menaçant ses traditions millénaires. La fascination de l'Inde pour l'Occident, sans discernement du bon et du mauvais, contribue à ce phénomène. Le Père Laurent Bissara, autrefois dans le secteur de l'électronique grand public et maintenant missionnaire à Calcutta, observe que l'usage des écrans, notamment des smartphones, affecte la spiritualité naturelle des Indiens. Désormais coupés de leur intériorité, ils perdent l’héritage de leur tradition spirituelle et perdent également le chemin de la prière.
Même parmi les pauvres, l'utilisation des smartphones s'est généralisée, surtout depuis la pandémie de COVID-19. Cela concerne même de très jeunes enfants, ce qui pose des problèmes pour leur développement. Les efforts de sensibilisation sont donc cruciaux pour prévenir ces effets néfastes. Heureusement, dans les communautés protégées des écrans, les enfants montrent encore des signes d'émerveillement et de joie authentiques, gardant un lien précieux avec leur environnement et leur spiritualité.
L’association Howrah South Point s’apprête à célébrer son jubilé des 50 ans en 2026.
https://www.howrahsouthpoint.org/
Livre : La cité de la joie, de Dominique Lapierre, https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Cit%C3%A9_de_la_joie
EAN : 9782266107532, 639 pages, POCKET (18/09/2000)
Résumé : un prêtre catholique français, un jeune médecin américain, une infirmière et un tireur de pousse-pousse indien se rencontrent sous les cataractes de la mousson. Ils s'installent dans l'hallucinant décor d'un quartier de Calcutta pour soigner, aider, sauver. Condamnés à être des héros, ils vont se battre, lutter, vaincre. Au milieu des inondations, des rats, des scorpions, des eunuques, des dieux, des fêtes et des soixante-dix mille "lumières du monde" qui peuplent la Cité de la joie. Leur épopée est un chant d'amour, un hymne à la vie, une leçon de tendresse et d'espérance pour tous les hommes de notre temps
Photos prises lors de la conférence du père Laurent Bissara à Bruxelles le 12 juin 2024, modérée par Jacques Galloy
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