Le Sénat a adopté, mardi 23 mai, un projet de loi visant à faciliter la restitution de biens culturels spoliés aux Juifs entre 1933 et 1945. Ne reste plus pour les députés qu'à transformer l'essai.
Une fois n'est pas coutume, c'est sur un texte parfaitement consensuel que se penche le Parlement. Le projet de loi gouvernemental prévoit l'adoption d'un nouveau régime de restitution de biens culturels spoliés aux Juifs français sous le IIIe Reich. Une période qui remonte à plus de 80 ans. "Après guerre, il y a eu une politique extrêmement volontariste de restitution rapide, retrace Pierre Noual, avocat et historien de l'art. Puis, petit à petit, s'est instauré un long silence. Jusqu'au milieu des années 1990 où, sous l'impulsion de Jacques Chirac, a été formée la commission Mattéoli, chargée de penser les réparations du régime de Vichy, poursuit-il. Cela a conduit à une prise de conscience plus visible".
Mise sur pied en 1999, cette Commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations (CIVS) "permet l'indemnisation des victimes de spoliations antisémites", explique maître Noual. Seul hic : en 2018, un rapport remis à la ministre de la Culture Françoise Nyssen pointait l'inefficacité de ce processus de restitution. Emmanuel Macron s'est saisi du sujet, d'où l'actuel projet de loi. "Jusqu'à présent, le mécanisme de restitution, notamment pour les œuvres qui sont dans des musées nationaux, reposait sur la CIVS, détaille le juriste. Il fallait la saisir pour tenter d'obtenir soit une indemnisation - lorsqu'on ne pouvait retrouver l'œuvre - soit sa restitution".
L'avocat relève les "obstacles juridiques" persistants, comme "le fait que beaucoup d'œuvres spoliées sous le IIIe Reich se trouvent aujourd'hui dans des collections publiques. Qui dit collection publique dit inaliénabilité". Le principe d'inaliénabilité du domaine public rend impossible toute vente d'un bien culturel appartenant à une collection publique. "Les œuvres de la période 1933-1940 posent des difficultés, car elles ont été vendues sous la contrainte ou dans des conditions un peu expéditives, notamment pour les personnes qui voulaient fuir à l'étranger, rappelle Pierre Noual. Elles ont donc pu être acquises puis, par le jeu de l'histoire, se retrouver entre des mains privées. Puis ensuite, dans des collections publiques. De ce fait, elles sont aujourd'hui inaliénables". Le projet de loi en cours d'examen vise justement à créer une dérogation légale à ce principe, de sorte à pouvoir sortir les œuvres concernées des musées dans lesquels elles sont conservées.
Beaucoup d'œuvres spoliées sous le IIIe Reich se trouvent aujourd'hui dans des collections publiques. Qui dit collection publique dit inaliénabilité
A l'inverse, environ 2 200 œuvres ont été reconnues, en 1950, "Musées nationaux récupération" (MNR). Grâce à ce régime, elles sont gardées par l'Etat sans qu'il en soit propriétaire et peuvent, de ce fait, être restituées sans que le principe d'inaliénabilité vienne y faire obstacle. Mais l'inexorable passage du temps rend de plus en plus ardue la quête, pour les ayants droits, de preuves préalables à une restitution. C'est donc pour les collections publiques que le gouvernement espère faciliter le processus de restitution.
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