En 1884, le parti catholique belge voyait le jour. Depuis, la famille sociale-chrétienne n'a cessé de muter au gré des circonstances politiques. Aujourd'hui, seul le parti du CD&V (Christen-Democratisch en Vlaams) conserve explicitement l'identité chrétienne. Comment expliquer cette évolution ?
Benjamin Biard, docteur en sciences politiques et chercheur au CRISP (centre de recherche et d'information socio-politique), dresse les contours de ces mutations au micro de Yves Thibaut de Maisières.
Les élections approchent, on en parle sans cesse dans les médias, nous allons essayer de comprendre les mutations de la famille sociale-chrétienne en Belgique. Tandis que la plupart de ces formations politiques ont pris leur distance avec les références chrétiennes explicites, ceci n'a pas toujours été leur stratégie.
Benjamin Biard : Ce n'est pas évident dans beaucoup de pays tout simplement parce que la nature du régime, c'est à dire démocratique, est parfois beaucoup plus récente que ce qu'on a connu en Belgique depuis l'indépendance en 1830-1831. La Belgique est un pays qui connaît un développement de partis politiques précoce, d'abord et avant tout par le parti libéral en 1846 qui se développe particulièrement en réaction à l'influence, au poids exercé par le monde catholique. Les libéraux entendent constituer un contrepoids d'une certaine manière à cette influence catholique.
C'est à partir de la fin des années 1830, lorsque les Pays-Bas vont reconnaître l'indépendance de la Belgique, qu'on va voir les différences entre les uns et les autres réapparaître, reprendre le dessus et finalement davantage des gouvernements homogènes : tantôt libéraux, tantôt catholiques.
B.B. : A cette époque, on a un clivage majeur qui s'exprime : celui qu'on qualifie généralement de philosophico-religieux ; les uns considérant qu'il est primordial de permettre à l'église catholique de conserver un rôle essentiel dans la société - pas seulement sur le plan religieux - mais également à travers des œuvres sociales, ou à travers toute une série d'interventions dans le domaine de l'enseignement, par exemple. De l'autre côté, on a des personnes qui considèrent que c'est l'État, “débarrassé” de cette question religieuse, qui doit pouvoir prendre la main sur ces différentes thématiques.
B.B. : Durant les années 30, on a vu des formations concurrentes qui viennent s'installer (on peut penser au parti d'extrême droite REX) développé par Léon Degrelle - qui se présente aussi comme catholique - avec la volonté de rassembler les électeurs catholiques et qui, lors des élections en 1936, parviendra à décrocher quelque 21 sièges à la Chambre. C'est un score évidemment très important et qui aura comme principale victime le parti catholique.
B.B. : Ça doit être son premier objet d'influence : le social. Je pense qu'il y a deux éléments qui ressortent de manière particulièrement forte dans cette nouvelle appellation. Le premier élément, c'est effectivement ce caractère social, la volonté d'appuyer davantage sur cette thématique, même si ça ne veut pas dire pour autant que ça va devenir un parti en soi “de gauche”, comme on dirait avec les lunettes d'aujourd'hui. Le deuxième élément, c'est qu'on abandonne la référence catholique pour privilégier l'appellation de chrétien. Ce n'est pas tout à fait anodin non plus, ça permet d'aller un peu plus loin dans la volonté de rassembler derrière cette formation.
Dans les années 50 d'ailleurs, le parti catholique ou le PSC désormais, PSC-CVP pour être complet puisque ça reste un parti unitaire organisé sur une base nationale à l'époque, il va être amené à participer à un des derniers grands gouvernements homogènes qui a eu lieu en Belgique entre 1950 et 1954, c'est-à-dire que uniquement le PSC-CVP était membre de ce gouvernement et ce gouvernement va notamment participer avec les gouvernements successifs également à ce qu'on qualifie de deuxième guerre scolaire qui porte sur le financement des établissements d'enseignement secondaire et qui, là aussi, va être un véritable objet de tension entre les partis, partis sociaux-chrétiens d'un côté, libéraux et socialistes de l'autre.
B.B. : Les années 60, sont très importantes pour comprendre l'évolution de cette formation politique. Dans les années 70, plus de 80% de la population en Belgique était baptisée et procédait à des funérailles religieuses. En 2022, on est en deçà de 40%. Il y avait donc un déclin de l'activité religieuse très net. Ce déclin ne va pas être sans impact pour les formations typiquement social-chrétiennes.
Il faut aussi citer la pacification du clivage philosophico-religieux qui a animé la vie politique belge à partir de la conclusion du pacte scolaire à la fin des années 50, pour laisser place au clivage communautaire où on va voir s'affronter des positionnements assez différents sur la forme d'État en Belgique. La fédéralisation en est à ses débuts, elle n'est pas encore opérée mais déjà dans les débats.
Ces tensions vont aussi marquer les socio-chrétiens qui sont toujours organisés sur une base nationale, mais qui vont à partir de 1968, ou qui va pour ce qui concerne le Parti social chrétien à l'époque, se scinder en deux ailes. L'impulsion donnée est celle du Wallen Buiten de 1968. L'affaire de Louvain va être l'étincelle qui va contribuer à l'éclatement de cette formation en deux nouveaux partis politiques à partir de 1969 : le PSC, organisé sur une base francophone, et le CVP, organisé en Flandre..
B.B. : Les années 90 évidemment ont été particulièrement difficiles. On peut penser d'abord et avant tout à l'affaire du trou, à la fermeture d'importantes entreprises, les forges de Clabecq par exemple. Certains reprochent aussi une politique d'austérité qui a été menée dans le but de faire rentrer la Belgique dans la monnaie unique et puis juste avant les élections, la crise de la dioxine aussi à qui il a fallu ou par rapport à laquelle il a fallu pour certains trouver des responsables et qui de mieux qu'un parti qui est au pouvoir à l'époque depuis 1958, depuis plusieurs décennies sans discontinuer. Et donc effectivement, il ne sera pas le seul, mais le PSC, le CVP également, vont payer les frais à cette occasion en 1999. Ce sera particulièrement brutal et sévère. Il va perdre son statut de troisième parti qui l'occupait alors.
pour ce qui concerne le PSC, pour passer derrière les écologistes qui, à l'inverse, eux, vont opérer une percée électorale significative en 1999. Et puis, pour la première fois, ils vont être renvoyés, en tout cas depuis 1958, dans l'opposition. Ce sera évidemment la douche froide.
B.B. : Pas nécessairement. D'ailleurs, on voit que tout n'a pas été si évident dans la transformation du PSC. Déjà lorsqu'il devient le CDH, très rapidement on voit apparaître une dissidence qui est le CDF, les chrétiens démocrates francophones. Pensons notamment à l'ancien ministre Dominique Armel, ancien ministre bruxellois, ancien parlementaire également, qui va créer cette formation regrettant notamment l'absence de cette référence chrétienne dans le CDH.
Parce que le C ne signifie plus “chrétien” ou “catholique”, mais le “centre démocratique”. Évidemment, avec les Engagés à partir de 2022, on va aller beaucoup plus loin, puisque le parti va littéralement abandonner l'ensemble des références chrétiennes qui sont les siennes et appeler à la neutralité de l'État sur le plan philosophico-religieux. C'est évidemment un élément très fort qui marque une rupture par rapport au passé en la matière.
B.B. : Aujourd'hui, les électorats sont plutôt similaires. En tout cas, si on s'en tient au CDH en 2019, puisque c'est très difficile à pouvoir le dire aujourd'hui, ne fût-ce que sur la base des enquêtes dont on dispose qui sont insuffisantes pour pouvoir cerner la structure de l'électorat. Mais on voit qu'en termes d'âge, de genre ou de statut socio-économique au sein de la société. On a de larges similitudes entre l'électorat du CDH et l'électorat du CD&V, notamment dans le rapport à la religion et à la foi où on a un électorat qui est finalement surreprésenté en la matière au sein de ces formations politiques par rapport à la moyenne des autres partis.
B.B. : Je dirais que ce sont des partis qui ont beaucoup de difficultés de base si on considère les résultats des dernières élections. Pour l'un comme pour l'autre, le CDH s'est transformé en devenant “les Engagés” en 2022. Le CD&V a aussi mis en place une commission interne pour réfléchir stratégiquement aux résultats de 2019 et aux évolutions possibles. On voit qu'il n'en a rien été. Ce sont des formations politiques qui font face à des difficultés majeures jusqu'à aujourd'hui, même si on voit qu'il y a des sursauts sur le plan des sondages.
Nous verrons évidemment en juin 2024 ce qu'il en sera. Néanmoins, ce sont des partis qui n'ont pas de facilité, et particulièrement en Flandre le CD&V qui se retrouve confronté à d'autres formations politiques, à un grand nombre de formations politiques, notamment la N-VA, parti de droite nationaliste, conservateur sur le plan des valeurs, sur le plan éthique également et qui rappelons-le, au début des années 2000, a été porté sur les fonts baptismaux par le CD&V dans le cadre de ce fameux cartel CD&V-N-VA. À l'époque, le grand frère, c'était le CD&V, le petit frère, c'était la N-VA. On voit qu'aujourd'hui, la tendance s'est inversée.
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