Maine-et-Loire
Face à la saturation des services d'urgence, le gouvernement a repris une proposition du député du Rhône Cyrille Isaac-Sibille visant à reconnaître et encadrer les centres de soins non programmés, en leur réservant le bénéfice de certains financements, sous réserve du respect d’un cahier des charges régulant leur organisation et leurs modes de fonctionnement, sur la base de critères préétablis. Une proposition qui répond à une demande grandissante dans le département du Rhône. Reportage.
« J'ai un médecin [traitant, ndlr] mais j'arrive pas à prendre un rendez-vous. J'ai essayé, j'ai appelé plusieurs fois, il répond pas. J'ai pas de médecin traitant pour mon petit, j'ai pas le choix ! Hier soir, j'ai pris un rendez-vous ici pour mon fils. Je viens plusieurs fois pour mes enfants : otites, angines... Y a beaucoup de monde chez mon médecin. » Yssaad est maman de deux garçons de 19 mois et 4 ans et elle patiente dans la salle d'attente du centre de soins non programmés (CSNP) de Vaulx-en-Velin. Comme elle, plusieurs parents ont pris rendez-vous pour leurs enfants. Ouvert en mai 2023, le centre vaudais ne désemplit pas et comble les besoins de nombreux habitants de l'Est Lyonnais où trouver un médecin traitant est devenu impossible. C'est le cas de Rose. Elle habite à Vaulx-en-Velin Village mais elle doit faire 30 kilomètres aller-retour pour consulter son médecin traitant, dans le 7e arrondissement de Lyon. Alors pour les petites urgences, elle aussi fréquente le CSNP de Vaulx-en-Velin.
Hier soir je suis venue mais il n'y avait pas de place et on m'a donné rendez-vous ce matin donc ça me rassure. Mon médecin, il est loin, ici c'est plus pratique et on m'explique bien. On m'avait même dit que si je ressentais vraiment l'urgence, il fallait aller à [l'hôpital, ndlr] Médipôle.
Comme à Vaulx-en-Velin, de nombreuses communes du Rhône ont accueilli ces dernières années un centre pour traiter de petites urgences non vitales. En moins de cinq ans, 22 structures de ce type se sont installées, principalement en ville. Si l'objectif affiché est de lutter contre la saturation des urgences, la forme employée interroge jusque chez les soignants eux-mêmes. Consultations rapides, sans suivi, sans concertation avec les autres soignants... « c'est une mauvaise réponse à un vrai problème » reconnaît le Dr Sylvie Filley Bernard, présidente de l’Union Régionale des Professionnels de Santé Médecins Libéraux Auvergne-Rhône-Alpes. « Il y a un vrai problème autour de l’accès au médecin traitant. Il y a ce qu’on appelle les déserts médicaux, qui est en fait une inadéquation entre l’offre et la demande, et le phénomène aujourd’hui c’est que vous avez une partition de la demande entre la demande de soins chroniques qui a toujours du mal, et a de plus en plus de mal, à trouver une réponse en ville, et la demande de soins urgents ou semi-urgents qui va remplir ces cabinets de soins non programmés et qui existe aussi. »
Le problème, c’est que ces centres de soins non programmés n’existent pas, légalement. Si le député Cyrille Isaac-Sibille, médecin par ailleurs, les définit comme « des unités de soins non programmés destinées à dispenser les soins urgents pour des pathologies n’engageant pas le pronostic vital, labellisées au sein d’établissements de santé publics ou privés », il n’existe aucune définition légale de ce qu’est un CSNP. Deux formes de structures cohabitent : celles avec un petit plateau technique pour de la suture ou de l’imagerie médicale et les cabinets de médecins généralistes à horaires élargis. Et ceux-là posent problème, alors qu’ils sont les plus répandus, car ils détourneraient les médecins libéraux du statut de médecin traitant. Des médecins traitants qui font défaut dans la Métropole de Lyon où 12,9% des habitants n’en déclarent pas. C’est plus que la moyenne nationale à 10,9% et les étudiants à Lyon qui ne prennent pas de médecins sur place ne suffisent pas à expliquer cette différence.
Le député du Rhône a déposé, dès 2019, une proposition de loi visant à réguler et labelliser ces points d’accueil pour soins immédiats mais le projet peine à être accepté. Même l’Agence Régionale de Santé, dont la mission est pourtant la régulation de l'offre de santé en région, ne peut que « regarder de près » ces CSNP sans les répertorier car « ils ne sont pas soumis à régulation ni à autorisation de l’ARS » explique le Dr Emmanuelle Guichard, conseillère médicale au sein de la délégation départementale du Rhône et de la Métropole de Lyon à l’Agence Régionale de Santé.
On ne peut réguler que s’il y a une réglementation. En revanche, les médecins ont une totale liberté d’installation. Et ces centres de soins non programmés sont en fait des cabinets de médecins généralistes qui exercent sous un statut libéral et donc ne sont pas soumis à régulation. Les différents gouvernements ont essayé régulièrement, encore récemment, ce n’est jamais accepté.
Une simple autorisation du Conseil de l’Ordre des Médecins suffit donc à l’ouverture d’un centre. Le Conseil départemental du Rhône de l’Ordre des Médecins n’a pas souhaité répondre à nos questions, indiquant dans un mail laconique que « les discussions sont ouvertes sur la place des soins non programmés dans le parcours coordonné de soins, les modalités d'exercice et de prise en charge des patients ».
L’ARS pointe les enjeux de santé publique que pourraient provoquer, à terme, des consultations qui n’assurent aucun suivi de pathologies et de prescriptions médicales. « C’est un petit peu tôt pour l’instant pour voir les conséquences de ce modèle mais ça fera partie des facteurs qui seront pris en compte dans des études de santé publique ultérieure ». Quand elle est sollicitée, l’ARS incite fortement les médecins à se rapprocher des structures déjà existantes « pour venir en complément et de surtout pas désorganiser ce qui est déjà en place sur le territoire ». Or, d’après le Dr Emmanuelle Guichard, « les médecins généralistes ne souhaitent pas s’installer aux endroits où il y a un centre de soins non programmés. Un médecin qui prend en charge tous types de patients, y compris avec des pathologies complexes, se retrouve à prendre en charge, pour le même tarif, des patients qui n’ont pas du tout la même lourdeur ».
L’instance de régulation régionale demande l’instauration d’une charte pour définir un temps maximal d’exercice dans ces structures « parce qu’on a vraiment besoin de médecins traitants qui prennent en charge la globalité du patient » et que ces consultations « qui poussent au consumérisme médical » ne soient pas multipliées. L’amendement retenu par le gouvernement prévoit ainsi « un cahier des charges régulant leur organisation et leurs modes de fonctionnement, sur la base de critères préétablis (horaires d’ouverture, pratique du tiers payant, participation à la permanence des soins, ...) ».
Mais le détournement du statut de médecin traitant n’est pas le seul reproche adressé à ces centres de soins non programmés. A Saint-Etienne, le Dr Xavier Poble est référent régional de la Fédération Nationale des Centre de soins non programmés. Ancien médecin urgentiste, il dénonce fermement des structures « à seul but financier ».
Ce qui est extrêmement rentable, c’est de faire des cabinets à horaires élargis où vous n’avez pas de soins techniques à haute valeur ajoutée. Vous avez simplement des médecins qui font de la consultation, y compris sur des horaires élargis parce qu’il y a une majoration de cotation, et qui vont voir 100 à 120 malades dans la journée. Et ça, ça s’appelle de l’abattage et c’est pas de la bonne médecine.
Un avis partagé par le Dr Sylvie Filley Bernard de l’URPS : « comme il s’agit d’une offre de soins rapide, c’est une offre facile à mettre en place avec des modèles économiques basés sur les volumes ». Pour le Dr Xavier Poble, un patient pris en charge dans un service d’urgence plutôt qu’en CSNP coûte, à pathologie égale, huit fois plus cher à la société à cause de la différence de cotation et de tarification des service d’urgence par rapport à un CSNP, qui équivaut à celles d’un médecin généraliste. Mais il estime que les patients qui consultent en cabinets à horaires élargis « vont reconsulter de toute façon. Donc oui ça a un intérêt économique mais par rapport aux coûts de santé publique, ça va coûter beaucoup d’argent ».
La Fédération Nationale des Centre de soins non programmés (FFCSNP) combat donc avec vigueur ces centres-là « parce que ça, ça s’appelle de la financiarisation de la médecine, et c’est tout, ça n’a aucun intérêt médical ». Dans le Rhône, seuls quatre centres sont labellisés par la FFCSNP. Ce n’est pas le cas de celui de Rillieux-la-Pape, monté il y a un an par deux infirmières et deux anciens urgentistes dont le Dr Jean-Damien Antoine. Avant l’ouverture à 9h se pressent devant le centre des patients en béquilles ou qui ont besoin de passer une radio. Car avec son petit plateau technique, le centre Lyon-Nord et sa capacité de 120 patients par jour se voit « comme un petit service d’urgences ». Ici, pas de pédiatrie mais des ECG, des plâtres, des prises de sang, des sutures et de la traumatologie dans l’une des huit salles d’examen flambant neuves. « Comme aux urgences, ce sont les médecins qui changent de salles pour pouvoir les patients » explique le Dr Jean-Damien Antoine. Désireux de monter un projet entrepreneurial sur son lieu de vie, il a choisi le CSNP « parce qu’il répondait à une véritable demande de la part des patients » qui ne bénéficiaient pas de maison médicale de garde sur le territoire, tout en venant « en soutien aux services d’urgence hospitaliers ». La FFCSNP lui reproche d’appartenir à « une franchise d’une SAS à but financier » mais le Dr Jean-Damien Antoine affirme être seulement financé par les actes médicaux facturés au tarif du secteur 1.
Une expérimentation a été lancée entre le centre Lyon-Nord, le SDMIS et le SAMU pour rediriger une partie des patients des urgences vers Rillieux.
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