Comment les influenceurs de l’or noir pèsent-ils sur les négociations climatiques ? Si cette COP 28, au pays du pétrole des Émirats Arabes Unis, a ouvert de nombreux débats, elle aura au moins eu le mérite d’attirer l’attention sur ce frein discret mais puissant de la lutte contre le changement climatique : le lobby pétrolier.
La COP 28 au pays de l’or noir. Le choix de Dubaï et la désignation du patron de la compagnie pétrolière nationale pour accueillir et diriger la COP sur le changement climatique posent de nombreuses questions. Parmi elles : le poids des lobbies des énergies fossiles dans les négociations climatiques.
“Le lobbying, dans les COP, des lobbies fossiles est de plus en plus important” assure Gaïa Febvre, responsable des politiques internationales au Réseau Action Climat France. Selon l’ONG Global Witness, entre la COP 26 [Glasgow - Écosse] et la COP 27 [Charm el-Cheikh - Égypte], on a eu une augmentation de 25 % du nombre de lobbyistes. Ils sont discrets et n’interviennent pas directement dans les COP au titre de compagnies pétrolières. Les entreprises ne peuvent d’ailleurs pas s'inscrire, mais elles contournent cette règle en infiltrant certains de leurs représentants via des organisations, des ONG, des fondations ou autres en tant qu’observateurs.
Le risque est d'éclipser la voix des plus vulnérables et amoindrir le vocabulaire sur les énergies fossiles
Dans les COP, il faut différencier les délégations d’observateurs et les délégations nationales qui ont le pouvoir de négocier le texte final. Or selon Gaïa Febvre lors de la COP 27, il y avait 636 lobbyistes fossiles dans les négociations et 200 étaient venus avec les délégations de leur pays. “À titre de comparaison, l'Erythrée a le droit à deux délégués et l'Île Maurice vient avec sept délégués” précise-t-elle.
Elle s’inquiète également que cet état de fait puisse “éclipser la voix des plus vulnérables et amoindrir le vocabulaire qui pourrait être mis en place lorsqu'on abordera la question de la fin des énergies fossiles”. Selon l'ONG Global Witness, 29 pays au total ont des lobbyistes des énergies fossiles au sein de leurs délégations nationales.
Pour cette COP, la porosité est encore plus grande puisque le président du rendez-vous, Sultan Al Jaber, est aussi le dirigeant de la compagnie nationale pétrolière des Émirats Arabes Unis (ADNOC). “Contrairement aux supermajors comme Total, Shell, Exxon, BP, les compagnies nationales sont imbriquées dans les États” souligne Stéphane His, consultant indépendant sur les questions énergétiques, spécialiste du pétrole.
“Dans ces pays, où les compagnies nationales ont un rôle très important, la cloison entre le groupe pétrolier, le ministère de l’énergie, le gouvernement et les recettes de l’État est très fine, eux même ne voient pas vraiment la différence” ajoute-t-il.
En juin dernier, le Guardian révélait justement que la compagnie pétrolière émiratie (ADNOC) et l’administration de la COP 28 partageaient le même serveur pour leurs messageries. Puis, une semaine avant le début de le COP, c’est la BBC qui publiait des documents prouvant que les Émirats allaient profiter de ce rendez-vous pour négocier des contrats pétroliers et gaziers avec certains hôtes.
Outre le profit tiré de cette porosité entre les institutions, les lobbies pétroliers jouent sur le poids des mots. Ceux qui vont apparaître dans les fameux textes finaux des COP. “On ne parle pas d’énergie fossile dans l’accord de Paris, le mot fossile n’apparaît pas avant la COP26, donc il est certain que les lobbies ont fait un travail important depuis le début” s’insurge Gaïa Febvre du RAC. “Historiquement, la question énergétique n’est pas dans le mandat de départ de négociations des COP” complète Nicolas Haeringer, de l’ONG 350.org. “Le terme « énergie » n’apparaît qu’une fois dans l’accord de Paris : lorsqu’on mentionne l’AIE (International Energy Agency)” développe-t-il.
La guerre des mots aura également bien lieu pour cette COP28 selon l’experte du GIEC Yamina Saheb. Dans la version anglaise du texte, elle prévoit un débat entre “phase out” et “phase down”. “Le premier désigne un plan pour mettre fin aux énergies fossiles, le second vise à réduire leurs utilisations, ce n’est pas la même chose”, explique-t-elle. Les lobbies pétroliers se battent pour que le “phase down” soit retenu dans le texte.
Yamina Saheb et les défenseurs du climat alertent également sur la notion de “unabated fossil fuels” qui désignent en fait les émissions ne pouvant être stockées et qui s’échappent forcément dans l’air. “Il y a une stratégie derrière” assure la chercheuse, “Depuis quinze ans, l’industrie du pétrole a produit une somme incroyable de littératures scientifiques qui assurent qu’on peut capter les émissions, les stocker et aujourd’hui ils vendent ça comme une solution” s’emporte Yamina Saheb.
Le stockage du carbone est une vaste arnaque
Un moyen de montrer un certain volontarisme pour réduire les émissions sans toucher au système en profondeur. “Une vaste arnaque” rétorque l’auteure du GIEC. “Un fantasme depuis des années et un non-sens” , renchérit Stéphane His qui assure que les technologies visant à capturer le CO2 ne sont pas encore abouties.
Pour conclure, le raisonnement va plus loin, puisqu’à travers cette solution du stockage du carbone, l’industrie du pétrole affirme lutter contre le changement climatique en s’attaquant à ses émissions. Or, en réalité, les lobbyistes du pétrole poussent pour réduire les émissions de CO2 qu'ils produisent dans le cadre de leur exploitation et du raffinement du pétrole, c'est-à-dire de leur activité.
Les lobbies tentent de minimiser leur responsabilité pour les émissions qui sont en dehors de leur champ d'activité
“Le premier volet est d’assurer qu’on réduit les émissions de gaz à effet de serre sur le champ d’activité” détaille Stéphane His. “Et le deuxième volet est de minimiser leur responsabilité pour les émissions qui sont en dehors de leur champ”. En gros : les émissions de mes clients ne sont pas de ma responsabilité. Pourtant, ces émissions représentent 80 % du problème.
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