À Mayotte, les coupures d’eau durent désormais plus de 48 heures. Quand ils reçoivent de l’eau, les Mahorais doivent parfois la faire bouillir pour la rendre potable. Face à la crise, l’État réagit en urgence en distribuant des bouteilles d’eau aux plus vulnérables et en mettant en place un réseau de citernes. Une réponse insuffisante selon les habitants. Une réponse, surtout, qui ne masque pas les manquements de l’État ces dernières années alors que la crise couvait. L’exécutif renvoie la balle aux collectivités locales, responsables de la compétence eau. Réponse inaudible pour les Mahorais, surtout que le gestionnaire des eaux de Mayotte, sous le coup d’une enquête du Parquet national financier, a été incapable de mener les travaux nécessaires pour éviter la crise et que l’État a laissé faire.
“On ne dort plus, car on doit faire nos réserves d’eau la nuit” témoigne Camille, habitante de l’archipel de Mayotte. Depuis le 11 octobre : la préfecture impose que le réseau s'ouvre entre 16 et 18 h et se referme le lendemain entre 10 h et 12 h. La coupure dure ensuite deux jours. “On remplit des bidons qu’on place dans chaque salle de bain, on réutilise l’eau de la vaisselle pour tirer la chasse, on fait bouillir l’eau, car celle qui coule au robinet n’est pas potable en l’état” énumère Camille.
Face à ces coupures programmées qui durent depuis mai dernier et qui se sont peu à peu accentuées pour préserver les réserves d’eau restantes, l’État a décrété une réponse d’urgence. “Un véritable plan Marshall” selon le gouvernement. Parmi les mesures, 80 000 litres de bouteille d’eau sont distribués chaque jour pour les plus vulnérables. Mais pour les autres habitants, cela représente un énorme budget avec un pack d’eau à 6 euros contre 1,15 euros en métropole.
Nous allons élargir la distribution de bouteilles d’eau à une population beaucoup plus importante
Un défi sachant que le taux de pauvreté est de 77 % dans le 101e département français contre 14,6 % au niveau national, selon l'Insee. “En plus, nous nous sommes limités à deux packs de bouteilles lors de notre passage en caisse, et ça, c’est dans le scénario où nous trouvons des packs en magasins car il y a souvent des pénuries. Mes enfants sont tellement malades que je leur donne du Smecta matin, midi et soir” explique Camille mère de quatre enfants.
“Les bateaux sont en train d’arriver à Mayotte et nous allons élargir cette distribution de bouteilles d’eau à une population beaucoup plus importante” assure le ministre délégué chargé des Outre-mer, Philippe Vigier à l’aube de sa nouvelle visite dans le département, le 1er novembre. “L’objectif est d’approvisionner tous les Mahorais, mais cela demande une logistique et une manutention extrêmement complexe” précise le ministre qui promet que la distribution va passer à 200 000 litres/jour puis à 300 000 litres/jour.
Je suis consternée par la lenteur du déploiement des efforts de l’État
La réponse d’urgence s'appuie également sur la mise en place d’un réseau de citernes et des rampes à eau pour toute la population. “Je suis consternée par la lenteur du déploiement des efforts de l’État” s’émeut la députée LIOT (Libertés, indépendants, outre-mer et territoires) de Mayotte, Estelle Youssouffa. “Les efforts sont réels, mais nous devrions être depuis plusieurs mois en distribution massive d’eau minérale à l’intégralité de la population” assène-t-elle.
Les Mahorais ont également arrêté de payer leur facture d’eau. L’État les prend en charge de septembre à décembre, il va donc lui-même payer un chèque à la Société mahoraise des eaux, filiale du géant Vinci, groupe privé qui gère la production et la distribution depuis 2008. “C’est une forme de subvention” s’indigne la coordinatrice du collectif Mayotte à Soif, Racha Mousdikoudine, qui s’est battu pour que les Mahorais et les Mahoraises cessent de payer un contrat qui n’était plus respecté.
Aujourd’hui Racha Mousdikoudine veut aller plus loin. “La SMAE ne remplit pas le contrat en ne nous fournissant pas l’eau correctement, nous avons donc saisi le défenseur des droits, nous allons également saisir le tribunal administratif dans le cadre d’un référé et nous avons levé des fonds en ligne pour poursuivre la SMAE devant le tribunal civil” liste-t-elle. "La crise de l'eau aggrave des difficultés déjà présentes et elle peut les aggraver davantage" a d’ailleurs déclaré la Défenseur des droits, Claire Hédon, qui s’est déplacée à Mayotte fin octobre, lors d'un point presse à Mamoudzou, en rappelant que "l'accès à l'eau est un droit fondamental".
Le but du collectif Mayotte à Soif est notamment d’établir les responsabilités alors que, selon le préfet chargé de l’eau à Mayotte, 35 % de l’eau s’échappe du réseau à cause de fuites et que depuis six ans les investissements pour éviter cette crise n’ont jamais été faits. Le journal Le Monde a révélé ces derniers jours qu’en 2017 un plan d’urgence avec 140 millions d’euros à la clé, devait augmenter les capacités de dessalement de l’eau. Or, les objectifs n’ont jamais été atteints et l’Etat n’a jamais pris la main. “Il y a eu des investissements qui ont été faits sur ce territoire, qui ont disparu comme par magie et l’État n’a jamais fait son travail de contrôle correctement” s’insurge Racha Mousdikoudine.
Le syndicat des eaux de Mayotte doit être mis sous tutelle
Aujourd’hui, Paris renvoie la balle aux collectivités locales qui ont la compétence de l’eau. “Nous venons en soutien et presque en substitution” souligne le ministre Philippe Vigier. Sauf que l’acteur local, le syndicat des eaux est sous le coup d’une enquête du Parquet national financier. “Je demande depuis toujours que le syndicat des eaux de Mayotte soit mis sous tutelle et qu’il soit géré par l’État” rappelle la députée Estelle Youssouffa. “Il faut comprendre la gravité de la situation, avec plusieurs rapports de la Cour des comptes régionale sur la mauvaise gestion au sein du syndicat des eaux et avec des affaires de corruptions qui ont eu un impact direct, car l’argent qui a disparu est celui qui a manqué pour réaliser les projets”.
C’est de l’argent public, je veux qu’il soit bien dépensé, je ne laisserai rien passer
Aujourd’hui Philippe Vigier promet 35 millions d’euros de travaux d’ici la fin de l’année payés intégralement par l’exécutif. Il assure également que le chantier pour une nouvelle de dessalement avance avec un appel d’offres qui devrait recevoir des réponses “dans les prochains jours”. D’autre part, l’exécutif vient d'annoncer 400 millions d’euros pour des usines de dessalement, des retenues collinaires et des forages entre 2024 et 2027. “Nous allons s’assurer avec le collectif que ces 400 millions soient réellement injecté dans le territoire et qu’ils iront au bon endroit afin que Mayotte bénéficie d’un réseau d’eau à la hauteur d’un département français” garantie Racha Mousdikoudine. “C’est de l’argent public, je veux qu’il soit bien dépensé, je ne laisserai rien passer” , a martelé Philippe Vigier.
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