En Bretagne, environ 210.000 personnes parlent couramment le breton, une des deux langues de la région, avec le gallo. Mais elle reste minoritaire et non-reconnue officiellement par l'État. Les associations œuvrent pour la faire perdurer, à leur échelle, à travers l'enseignement, les médias et la culture. Une langue chevillée au corps pour beaucoup.
À Landerneau, près de Brest, Julie et Alain sont venus apprendre le breton, au centre de formation pour adultes Stumdi. "J’habite dans les Monts d’Arrée [dans le Finistère, NDLR] et il y a beaucoup de gens qui parlent breton autour de moi et j’avais l’impression qu’en apprenant le breton, ce serait une façon de m’ancrer beaucoup plus dans le territoire", explique Julie.
Stumdi propose des formations intensives d’apprentissage de la langue bretonne en six mois à des jeunes retraités, des personnes sans emploi et des personnes en reconversion. Avec un accent sur l’insertion professionnelle et la diffusion du breton dans la sphère économique. "Si la langue bretonne se diffuse dans le monde de l’emploi et qu’elle se banalise comme l’anglais, si ça devient une compétence très appréciée voire exigée, c’est forcément un plus. Ça permet aux autres générations de voir cette langue comme les autres langues", affirme Claudie Malnoë, directrice de Stumdi.
Au lycée Diwan de Carhaix, où les jeunes parlent breton toute la journée, en enseignement immersif, cette question se pose aussi. Pour Thomas et Antoine, qui révisent leur bac blanc, le breton est une véritable valeur ajoutée pour trouver un travail plus tard. "C’est un gage de qualité, abonde Antoine, élève de terminale. Maîtriser deux langues très couramment, à part les gens qui ont deux parents de langues différentes, c’est très rare !"
"Même si l’on dit que la langue bretonne est devenue extrêmement minoritaire, dans le cœur des gens, elle existe toujours"
L’enseignement immersif est aussi une façon d’apprendre plus facilement d’autres langues comme l’anglais ou l’allemand. Les professeurs, eux aussi, y trouve un enrichissement. Lomig Bosser-an Dren, professeur de SVT, renoue avec ses origines. Ses grand-parents ne parlaient que le breton. De génération en génération, la langue s’est effacée au profit du français.
"C’est un traumatisme très profond du fait que l’on a essayé de faire comprendre à des gens que leur langue maternelle était inutile dans le monde qui venait. Les gens se sont sentis méprisés et se sont eux même méprisés. Ce mépris envers eux-mêmes, leur langue, leur culture, s’exprime par la suite dans toutes les générations. Même si l’on dit que la langue bretonne est devenue extrêmement minoritaire, dans le cœur des gens elle existe toujours", affirme le quinquagénaire, qui fond en larmes au moment de parler de sa famille.
L'un des enjeux pour la langue bretonne est d’augmenter sa visibilité dans l’espace public. Via les panneaux de signalisation sur la route, les panneaux de rues, les annonces du tramway ou du téléphérique à Brest, et bien sûr dans les médias. Et la langue bretonne a historiquement trouvé dans la radio un média de prédilection. À Landerneau, se trouve Arvorig FM, l’une des radios associatives en breton.
Et n’oublions pas RCF ! Plusieurs locales de RCF en Bretagne proposent des programmes hebdomadaires en breton, et en gallo, l’autre langue de la région. Il y a aussi le service public avec France Bleu. "On a aujourd'hui plus de difficulté à interviewé des agriculteurs bretonnants, ce qui peut être paradoxal parce que la langue bretonne est au départ une langue de paysan. C’est devenu une langue plus urbaine", constate Erwan Blanchard, journaliste à Arvorig FM.
Une autre association, Dizale, basée à Quimper, assure des doublages de films et de dessins animés en breton pour élargir l’offre culturelle audiovisuelle. Elle a même mis en place une plateforme de vidéo à la demande, une sorte de Netflix local en breton. La langue se retrouve aussi à l’écrit, dans les livres notamment. Dans son village verdoyant entre Carhaix et Brest, Christian Le Bras écrit et traduit des livres, le dernier en date “Sur la route” de Jack Kerouac, et tout ça en breton. "Ça a plus de vigueur, de force, de réalité. Ça me paraît plus concret, plus fort", assure-t-il.
À l’heure où le débat pour la présidentielle revient souvent aux questions d’identité, certains Bretons ici ne se les posent même pas. Être bilingue, avec deux cultures est une évidence. "Il n'y a pas de coupure dans le cerveau, dans l’identité des personnes. Chacun a son identité. Pour moi, les langues, les cultures, ce n’est que richesse", assure Fulup Jacq, le directeur de l’Office public de la langue bretonne, qui promeut l’emploi du bilinguisme français-breton.
Beaucoup de personnes espèrent une reconnaissance officiel du breton par l’État, ce qui se fait dans d’autres pays. Mais la démarche se heurte à l’article 2 de la Constitution selon lequel la langue de la République est le français. Il y a eu des avancées, notamment avec la loi Molac qui promeut entre autres l’enseignement immersif, mais le chemin reste long selon Christian Troadec. "Lorsqu’on discute avec l’État, c’est toujours assez tendu. Il y a un rapport de force qui amène à ce qu’on ne trouve pas immédiatement la clef de la solution. Ça prend du temps, et nous, si on veut aller vers un plan de reconquête de la langue, le temps, on n’en a plus beaucoup. Il faut que dans les 5 à 10 années à venir, on ait enclenché une vitesse supérieure pour faire en sorte que la langue ne soit plus menacée de disparition comme elle l’est actuellement", précise le maire de Carhaix et vice-président du conseil régional en charge des langues de Bretagne.
Pour l’heure, les langues régionales ne trouvent pas grand écho dans la campagne présidentielle. Les écologistes se positionnent traditionnellement en faveur de leur reconnaissance. Le candidat Yannick Jadot l’a réaffirmé dans un voyage en Corse lundi.
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