La Bretagne est la première région halieutique de France. Son port le plus important, Lorient Keroman, est le premier en France en termes de valeur. Mais c’est aussi dans les ports bretons que certains pêcheurs restent à quai, depuis le Brexit, faute de licence pour pêcher dans les eaux britanniques. Ici aussi que l’on cherche des solutions pour participer à la transition énergétique et rendre ce métier plus attractif face au manque d'effectifs.
Son bateau ne touche plus l’eau. Il est posé sur des cales, dans l’aire de réparation navale pour un grand ravalement de façade. Le Men Gwen, c’est le chalutier de Florent Le Bolay, marin-pêcheur depuis 14 ans. Il pêche habituellement, au large des côtes bretonnes, de la langoustine, du merlu ou de la daurade.
Mais pendant quelques semaines, Florent Le Bolay doit rénover son bateau et surtout changer le moteur. Il croise les doigts pour que ça tienne encore quelques années et pour qu’il ne consomme pas trop. Avec la hausse du prix du carburant, c’est devenu plus difficile ces derniers temps. "Un bateau comme ça, c’est autour des 1400-1500 litres par jour. Même détaxé, là il est rendu à 65 centimes d’euros. Plus le gasoil est cher, plus les bateaux vont devoir aller en mer pour faire du chiffre d’affaires", déplore-t-il.
Environ 1000 euros par jour de carburant. Mais ce serait encore plus cher de changer de bateau pour un chalutier à propulsion à hydrogène par exemple. Il faudrait compter plusieurs millions d’euros. Le patron de pêche n’y pense même pas. "Mon bateau a 32 ans. Pour le passer en diesel électrique, c’est impossible car ce n'est pas un bateau adapté. Et construire un bateau neuf c’est un investissement énorme. C’est inenvisageable", affirme Florent Le Bolay. Il espère du futur ou de la future présidente de la République une simplification dans les démarches pour changer de bateau et une véritable baisse du prix du carburant.
Les effets du réchauffement climatique se font ressentir sur les chalutiers. En Bretagne, des poulpes sont pêchés régulièrement, quasi inexistants dans cette zone auparavant. L’avantage, c’est que c’est une espèce qui se vend bien. Mais ce sont des prédateurs pour beaucoup de coquillages, qui sont habituellement pêchés dans ces eaux.
Les pêcheurs attendent beaucoup de la recherche pour pouvoir se projeter sur l’avenir. "Toute la gestion des pêches a été prise au travers du prisme des captures des bateaux. On s’aperçoit que, manifestement, les seules captures des bateaux n’arrivent pas à expliquer la modification de certaines populations. Là, il est clair que le réchauffement climatique commence à avoir un impact. Et puis, un bateau qu’on construit pour 20 à 30 ans... On a besoin d’avoir de la lisibilité. On a des grosses attentes en termes de recherche et d'information", explique Jean-Pierre Le Visage, directeur de la Scapêche, filiale du groupe Agromousquetaires, dont fait partie Intermarché.
Il y a aussi bien sûr l’enjeu de la qualité des eaux. Olivier Le Nézet, le président du comité régional des pêches et président du port de Lorient espère plus de contrainte dans les communes pour de meilleurs réseaux de distribution d’eau et une eau plus saine dans les océans.
Mais un des dossiers qui l'occupent particulièrement, c'est celui des licences de pêche. Depuis le Brexit il y a deux ans, le Royaume-Uni et l’Union européenne se sont mis d’accord pour que les pêcheurs européens puissent encore accéder aux eaux britanniques. Les pêcheurs français doivent donc prouver qu’ils pêchaient dans ces eaux auparavant. Mais le Royaume-Uni et la France ne sont pas d’accord sur les justificatifs à fournir. D’autant plus que certains petits bateaux ne sont pas équipés de système de géolocalisation.
Certains pêcheurs bretons, notamment au nord de la région, ne peuvent toujours pas travailler. "Ça les touche durement et ça démontre qu’il y a une défiance envers l’État français. J’espère que la France saura aussi être aussi ferme en terme de non attribution de droits historiques. On voit bien que le Royaume-Uni fait tout pour ne pas que les bateaux français puissent pêcher à l’intérieur de sa zone", regrette Olivier Le Nézet.
Des difficultés et un métier qui n'attire plus autant qu'auparavant. Florent Le Bolay, pêcheur à Lorient, n’arrive pas à recruter depuis six mois. "Des fois, des retraités me donnent un coup de main. C’est que du dépannage. Je ne trouve personne de fixe. Il faut être passionné pour faire ce métier-là. C’est quand même de l’éloignement. On travaille dans un milieu assez austère. La mer est imprévisible. Et enfermé à 4 ou 5 dans une boîte en ferraille pendant 4-5 jours...", détaille-t-il.
De quoi faire craindre à la région une vraie baisse des effectifs. "D'après nos statistiques, on va manquer d’environ 500 pêcheurs en Bretagne d'ici 2023-2024. Or, aujourd'hui, ni les lycées maritimes ni les centres de formation en continu ne forment assez de personnes pour remplacer cette main d’œuvre qui va manquer. On craint vraiment que dans les prochaines années, certains bateaux restent à quai", souffle Jean Piel, en charge de la formation et de la communication au comité départemental des pêches.
Autre enjeu : celui de la féminisation du métier. Seulement 1,7 % des pêcheurs professionnels en France sont des femmes. "Il va falloir que les choses changent", conclut Jean Piel. À Lorient, un bateau est commandé par une femme. Déjà un premier pas.
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