Longtemps tournée vers l’Union européenne, la Russie de Vladimir Poutine prend un autre tournant depuis quelques années. Le Kremlin assoit son influence internationale en adoptant une stratégie de désoccidentalisation. Un changement de cap qui trouve son public, particulièrement au sein des pays du sud global. Thomas Gomard, directeur de l'Institut Français des Relations Internationales (IFRI) et auteur de “L’accélération de l'histoire” aux éditions Tallandier est l’invité de la matinale.
Depuis le 24 février 2022 et l’invasion de la Russie en Ukraine, l’ordre international semble avoir pris une toute autre dimension. L’hégémonie occidentale est mise à mal et les spécialistes observent désormais l’émergence des puissances du sud. Les alliances de nations méridionales se constituent et forment un nouveau groupe : le sud global. Derrière ce qui constitue la principale menace occidentale se cache un revirement de stratégie russe.
Bientôt deux ans que la Russie se marginalise de l’Union européenne et de l’ordre occidental. Bien que sanctionné après l’annexion de la Crimée en 2014, Moscou a continué à entretenir des relations diplomatiques avec les pays occidentaux. Présent aux sommets internationaux telle que la COP21 à Paris en 2015, Vladimir Poutine a, depuis, bien changé de stratégie.
Désormais, la Russie assume sa rupture avec l’Occident. Le virage diplomatique entamé en février 2022 et l’invasion de l’Ukraine résulte d’une nouvelle stratégie de politique étrangère : celle de se tourner vers les pays du sud, quitte à observer un déséquilibre de la stabilité internationale.
La Russie a une capacité à produire son propre discours idéologique et se voit comme une sorte d’avant-garde de la désoccidentalisation du monde
“Ce qui a beaucoup frappé avec l’invasion [de la Russie en Ukraine, ndlr], c’est que Moscou agite désormais une rhétorique nucléaire, alors que c’est une puissance dotée, membre permanent du Conseil de sécurité, et en ce sens responsable d’un certain type de comportement”, observe Thomas Gomart, directeur de l'Institut Français des Relations Internationales (IFRI). Aujourd'hui, la Russie envisage, dans son discours, le recours à l’arme nucléaire. “C’est quelque chose qui n’est pas nouveau en soi, mais ça nous renvoie à un contexte de Guerre froide”, ajoute-t-il.
“En 1991 et la chute de l’URSS, il y a eu une déconnexion entre les stratégies nucléaires militaires et les stratégies conventionnelles militaires. Peut-être que la guerre en Ukraine est un moment de reconnexion entre les stratégies nucléaires militaires et les stratégies conventionnelles militaires. C’est un choix de la Russie de Vladimir Poutine”, souligne l’auteur de “L’accélération de l'histoire” publié aux éditions Tallandier.
Pour comprendre ce changement de stratégie russe vis-à-vis de l’Europe, il faut bien distinguer plusieurs périodes à la gouvernance Poutine, arrivé au Kremlin en 2000. D’abord, Thomas Gomard analyse les années 2000-2008. “Cela correspond à la progression économique de la Russie, assez spectaculaire, grâce en particulier au prix de l’énergie. Ce sont des années pendant lesquelles, au fond, la Russie de Vladimir Poutine regarde plutôt vers l’Union européenne, et en particulier vers l’Allemagne”, analyse l’historien.
Historiquement, la Russie est un pays du Nord, un pays qui a colonisé et qui aujourd’hui cherche à marginaliser les pays européens
La deuxième période débute davantage en 2012. “Il y a une bifurcation du régime très clair qui apparaît avec une priorité portée vers la Chine. La Russie se met progressivement dans une position de vassalité par rapport à Pékin qui aujourd’hui est son principal soutien politique dans sa guerre en Ukraine”, ajoute Thomas Gomard.
Pourtant, la défiance de la Russie à l’égard de l’occident ne date pas d’hier. Trouvant ses origines lors de la Guerre froide, le virage est vraiment pris à partir de 2007. “Il y a une volonté de contre-offensive idéologique de la Russie par rapport à ce que Poutine appelle aujourd’hui l’Occident collectif. Elle a une capacité à produire son propre discours idéologique et se voit comme une sorte d’avant-garde de la désoccidentalisation du monde”, observe Thomas Gomard. Pourtant, “historiquement, la Russie est un pays du Nord, un pays qui a colonisé et qui aujourd’hui cherche à marginaliser les pays européens”. Une marginalisation qui trouve un certain écho dans le sud global.
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