D’ordinaire au printemps, les collines des coteaux du lyonnais sont comme enneigées de fleurs d’arbres fruitiers en train de bourgeonner. "Mais en deux jours, tout a grillé", constate Alain Coquard. En parcourant les allées de son verger, le producteur de fruits installé à Bessenay (Rhône) ne peut que constater les dégâts du gel. "Dans la fleur, il y a un pistil qui deviendra une cerise, explique-t-il en cueillant un bourgeon. Ce pistil devrait être vert, mais il est noir. Donc il n’y aura pas de fécondation, et donc pas de cerise." Comme lui, de nombreux agriculteurs français ont été affectés par les nuits gelées du début du mois d’avril. "On avait mis des bougies pour essayer de réchauffer le verger, on avait fait brûler du bois dans des braseros mais les températures étaient trop basses", raconte Alain Coquard.
Crédit photo : Clotilde Dumay
Pour venir en aide aux producteurs en difficulté, le Premier ministre, Jean Castex, a annoncé la création d’un fonds de solidarité exceptionnel à hauteur d’un milliard d’euros. Un coup de pouce bienvenu, même si, d’après Thierry Pouch, les dégâts se chiffrent à près de 3 milliards d’euros. Le responsable des études économiques à l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture pense qu’au-delà des aides d’urgence, il faut aussi réformer le système d’assurance. "Il y avait une grosse incertitude dès les premiers lendemains du gel puisqu’on savait que des agriculteurs étaient soit peu assurés soit non éligibles au régime de calamités agricoles, explique l’économiste. Par exemple, seulement 30 % des viticulteurs sont assurés car cela a un coût, et que les épisodes climatiques ne le justifient pas forcément. Et puis les compagnies d’assurances ont parfois du mal à s’engager pour couvrir un agriculteur souvent exposé à des aléas importants. Il faut donc encore progresser pour déployer des dispositifs d’assurance et de gestion des risques. D’ailleurs, c’est une partie du plan du Premier ministre." En attendant, Thierry Pouch anticipe une hausse des prix de certains fruits comme les cerises ou les abricots, mais pas forcément des bouteilles de vin.
Va-t-il alors falloir s’habituer à ce phénomène ? En réalité, les épisodes de gel au mois d’avril ne sont pas anormaux, d’après Jean-Marc Touzard. En revanche, le directeur de recherche à l'Institut national de la recherche agronomique (INRAE) explique que les bourgeons se forment de plus en plus tôt, à cause du réchauffement climatique. Les périodes de gel sont donc d’autant plus redoutables à cette époque. Et le phénomène pourrait devenir récurrent : "Soit on arrive à stabiliser la température sur Terre à partir de 2050, soit on ne réduit pas nos émissions de gaz à effet de serre, et on gagne quatre ou cinq degrés d’ici 2100, indique le chercheur. Or, au fur et à mesure que la température moyenne augmente, l’instabilité du climat augmente, avec des événements extrêmes."
Avec l’INRAE, Jean-Marc Touzard travaille donc, depuis une dizaine d’années, sur les conséquences du changement climatique sur les vignobles. Et il réfléchit à des solutions pour s’adapter : "Par exemple, on va chercher à avoir des cépages plus tardifs, qui vont faire moins de sucre et plus d’acidité, et qui vont s’adapter à des hausses de températures, détaille le chercheur. On peut aussi jouer sur des pratiques de culture, notamment en modifiant la taille de la vigne pour faire en sorte qu’elle soit plus haute et donc la protéger du gel. On peut également jouer sur la gestion du sol, ou bien s’adapter en réfléchissant à une manière de relocaliser les cultures, en choisissant des parcelles moins exposées, avec des sols plus profonds. Il n’y a pas de solution unique. Il faut combiner ces différents leviers." Des stratégies qui pourraient d’ailleurs, selon Jean-Marc Touzard, être reprises par les autres agriculteurs, notamment les arboriculteurs.
En attendant, Alain Coquard va essayer de sauver les quelques fruits qui lui restent pour la saison. "On va minimiser l’entretien, c’est-à-dire tout ce qui est broyage, désherbage, travail du sol, précise le producteur du Rhône. Limiter les interventions sur les arbres, même s’il faut continuer à les entretenir pour éviter les attaques de parasites. Il faut attendre que la floraison se termine, et que la fécondation soit faite pour voir ce qu’il reste. On va continuer, on ne peut pas s’arrêter. Cela fait partie des aléas du métier."
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