Cela fait désormais six nuits, depuis mardi dernier et la mort de Nahel, que les banlieues françaises s'embrasent. Aux scènes de pillages, d'incendies de bus et de tirs à la kalachnikov s'ajoutent l'atteinte aux symboles d'autorité : commissariats attaqués, maires agressés, la séquence met en évidence la relation de plus en plus compliquée des jeunes de cités à l'Etat.
Avec 157 interpellations selon le dernier bilan du ministère de l'Intérieur, la nuit de dimanche à lundi a été marquée par un relatif retour au calme. Dans celle de vendredi à samedi, 1311 personnes avaient été arrêtées, soit près de dix fois plus. Depuis mardi et la mort à Nanterre du jeune Nahel M. à la suite d'un refus d'obtempérer, plus de 700 policiers et gendarmes ont été blessés au cours d'affrontements avec les émeutiers.
Quand vous êtes brutalisé au nom de la loi par quelqu'un qui porte un uniforme censé représenter la sécurité, vous avez un tel choc moral que c'est difficile ensuite de ne pas exprimer sa rage
"Ces émeutes ont pour source la discrimination et la brutalité policières, le tout dans un contexte de grande pauvreté et de moindre qualité du service public", soutient le politologue Sebastian Roché, directeur de recherche au CNRS et expert des questions de police et de sécurité. Selon lui, la barbarie observée partout en France ces derniers jours est - indirectement, mais tout de même - le fait des forces de l'ordre. "Quand vous êtes humilié au nom de la loi, quand vous êtes brutalisé au nom de la loi par quelqu'un qui porte un uniforme censé représenter la sécurité, vous avez un tel choc moral que c'est difficile ensuite de ne pas exprimer sa rage", défend-il. Plusieurs dizaines de commissariats à ce jour ont été incendiés aux quatre coins de l'Hexagone.
Entre le mobilier urbain allègrement saccagé et les bus sauvagement carbonisés, le montant des réparations s'annonce lourd pour l'Etat. Sebastian Roché comprend cette violence. "Quand on est désespéré, on détruit le peu de choses qu'on a", commente-t-il. Si des scènes classiques de pillages ou de tirs de mortier d'artifice ont pu être observées, la nouveauté réside dans l'ampleur des atteintes aux symboles de la République. Dans la nuit de samedi à dimanche, le maire de L'Haÿ-les-Roses (Val-de-Marne) Vincent Jeanbrun a subi une attaque de son domicile à la voiture-bélier. "Une partie des émeutiers s'en sont pris de façon agressive à des élus. Je ne peux pas faire de généralisation, mais je note qu'il y a plus de politisation qu'en 2005", observe le sociologue. Cette année-là, les émeutes urbaines, dont le souvenir est d'une troublante actualité, avaient duré trois semaines. Cette évolution est "le résultat d'un processus par lequel ces institutions ont perdu de la crédibilité", estime Sebastian Roché
Dans ce sombre contexte, quelles solutions pour les banlieues ghettoïsées ? En 2018, l'ancien ministre Jean-Louis Borloo avait, sur demande d'Emmanuel Macron, proposé un plan sur ce sujet brûlant. "Il avait écrit dans son rapport : ‘On a remplacé les moyens publics par les annonces publiques'. C'est-à-dire qu'on annonce toujours des plans, mais il n'y a pas de politique publique concrète avec un suivi, déplore Sebastian Roché. Il disait qu'il fallait un comité de suivi des actions mises en œuvre. Car des déclarations, les hommes politiques en font tous les jours et continueront à en faire. La question, c'est la transformation de ces annonces en actions concrètes, avec des objectifs et une personne qui s'assure qu'on met bien en œuvre les actions décidées". Ironie de l'histoire, le président de la République avait finalement abandonné ces propositions, considérant qu'il ne revenait pas à "deux mâles blancs" de s'occuper des problèmes des banlieues. Cinq ans plus tard, le chef de l'Etat peut se mordre les doigts de cette pudique marche arrière.
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