La renommée du réseau social TikTok - un milliard d’utilisateurs actifs par mois - n’est plus à prouver. Pourtant, trois ans après son essor international lors du premier confinement, l’application chinoise est dans le viseur du monde occidental. Addiction, fuites de données personnelles, espionnage, atteintes au droit privé, la plateforme chinoise est sous le feu des critiques. Explications.
“On passe un peu beaucoup trop de temps dessus !" À la sortie du lycée, Paul a déjà le nez sur son smartphone. “TikTok, c’est trop bien, on apprend plein de choses, comme des tutos make-up”, renchérit une de ses camarades qui évoque les vidéos de conseils pratiques pour arriver à bien se maquiller. Comme à la sortie de ce lycée, c’est désormais plus d’un milliard de personnes qui se rendent sur la plateforme chinoise chaque mois, dont la moitié ont entre 10 et 29 ans. L’application est également la plus téléchargée du monde en 2021. “Une perte de temps” pour certains, “instructive” pour d’autres...
Quoi qu’il en soit, il est difficile de passer à côté du phénomène TikTok. Les politiques, comme l’ancien ministre des Transports, Jean-Baptiste Djebbari se sont même risqués à la production de courtes vidéos humoristiques, en empruntant les codes de la plateforme. Résultat : plus d’un million d’abonnés et une trentaine de millions de "like". Le décor, garanti sans filtre, est planté.
Comme la cigarette ou les jeux vidéo, l’addiction pour les réseaux sociaux n’est plus à présenter, et n’est pas un phénomène nouveau. Plus inédit : la bulle d’information garantie par un système algorithmique opaque, qui permet de proposer à l’utilisateur exactement ce qu’il a envie de voir. “Si vous aimez des vidéos de petits chats, on vous proposera de plus en plus de vidéos de petits chats”, vulgarise Xavier Degraux, spécialiste des réseaux sociaux. Il semble donc beaucoup plus simple de s’inscrire et entrer dans l’application que d’en sortir.
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Depuis l’arrivée de ces boucles algorithmiques, qui s'ajoutent au scroll infini, les temps passés sur écran explosent. À tel point que l’appareil législatif français s’empare du sujet. Début mars, l’Assemblée nationale vote pour une majorité numérique à 15 ans, permettant de mieux contrôler l’utilisation des réseaux sociaux - et donc TikTok - chez les jeunes.
Huit jours plus tard, les députés votent à l’unanimité une proposition de loi sur le temps d’écran des adolescents. L’objectif : prendre des mesures pour préserver l’intimité et contrôler le harcèlement en ligne. “Une étape”, se réjouit Anne Cordier. Spécialiste du numérique chez les jeunes, elle tempère cependant : "Il faut aller à la racine du problème... Ce n’est pas en supprimant l’accès au réseau social, que l’on va supprimer le cyberharcèlement... Il faut régler le véritable problème qui est : comment j’aborde l’autre ? Comment je l’appréhende ? Comment prend-on en charge le vivre-ensemble ?”
Si TikTok est de retour dans l’actualité, c’est aussi parce que l’Occident s’est emparé du sujet. Après que les États-Unis et l’Europe ont annoncé début mars vouloir la peau de TikTok, les ministres français ont défilé dans les médias pour assurer qu’aucun membre de leur équipe respective n’était doté de l’application. Le porte-parole du gouvernement Olivier Véran a même assuré réfléchir à une interdiction sur les smartphones de tous les fonctionnaires. En cause : la plateforme pourrait être à l’origine d’une fuite des données personnelles des utilisateurs vers la Chine.
“Il y a une forte suspicion que l’État chinois se serve de TikTok comme un cheval de Troie. Il pourrait aspirer les données et les croiser avec d’autres. Ce sont probablement vos déplacements ou encore la capacité d’activation de votre caméra ou de votre microphone”, assure Xavier Degraux, spécialiste des réseaux sociaux. Une grave atteinte à la vie privée, alors même que TikTok assure ne pas avoir de lien avec le régime chinois en place.
Ce soudain intérêt des Occidentaux pour la Chine est aussi indirectement lié à la guerre en Ukraine. Une attention qui s’inscrit dans un conflit géopolitique où l’Europe ne s’impose pas comme une force majeure. "Les États-Unis ont des géants comme Facebook et Instagram, la Chine a TikTok et l’Europe tente de réguler tous ces acteurs qui s’internationalisent", estime le spécialiste qui évoque le manque de "souveraineté numérique" du Vieux Continent. "On se contente d’être un régulateur et pas assez sur la confection d’un environnement favorable à l’éclosion d’un géant aux racines européennes", déplore-t-il.
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