Le réseau social fondé par Mark Zuckerberg est dans la tourmente, après les révélations d’une ancienne employée qui accuse Facebook d’encourager la haine et de privilégier les profits à la sécurité.
Leur suprématie est souvent remise en cause, mais en ce début octobre, l’un des Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) concentre particulièrement les critiques : le réseau social créé par Mark Zuckerberg. Sur la chaîne CBS, puis devant une commission du Congrès américain, Frances Haugen a accusé le groupe – qui possède aussi Instagram et Whatsapp – de ne pas suffisamment lutter contre la haine en ligne ni contre les fausses informations, et d’avoir une responsabilité dans l’attaque du Capitole, en janvier dernier. L’ancienne ingénieure de l’entreprise a également révélé une étude interne montrant qu’Instagram est nocif pour les jeunes filles. Des informations déjà connues, mais qui pourraient, cette fois, avoir des conséquences, d’après Fabrice Epelboin : "La nouveauté, c’est qu’il s’agit de quelqu’un qui vient de chez Facebook et qui a des documents internes pour appuyer ses accusations, souligne l’enseignant à Sciences Po, spécialiste des médias sociaux. On est face à un potentiel ‘effet Snowden’."
Un nouveau scandale qui entache la réputation de Facebook, malgré sa puissance : même si ses actions ont baissé après une grosse panne, la valeur boursière du groupe dépasse les 900 milliards de dollars – l’équivalent du PIB des Pays-Bas, par exemple. "Facebook dépense beaucoup d’argent en lobbying, mais il ne faut pas imaginer qu’il existe une sorte de complot et que des choses cachées circulent dans l’entreprise", estime Julien Le Bot, journaliste et auteur du livre Dans la tête de Mark Zuckerberg (éditions Actes Sud). Malgré tout, en écoutant Frances Haugen, plusieurs élus américains ont appelé à réguler Facebook et les réseaux sociaux. La lanceuse d’alerte, elle-même, propose notamment de créer une agence de protection des données. Mais c’est une problématique qui existe depuis des années : "C’est inédit dans l’Histoire d’avoir des plateformes numériques avec un impact aussi fort sur la hiérarchie des messages et contenus circulant dans l’espace public, remarque Julien Le Bot. On est encore dans une phase d’arbitrages, on a du mal à avoir une délibération démocratique satisfaisante. Et puis, pendant des années, on a sans doute été un peu trop candides vis-à-vis du poids de ces entreprises. A l’époque Obama, il y avait une sorte de lune de miel entre l’administration américaine et la Silicon Valley."
En dehors des Etats-Unis, la régulation des réseaux sociaux commence tout de même, progressivement, à se mettre en place : depuis 2018, le règlement européen sur la protection des données (RGPD) encadre la récolte des informations personnelles à des fins publicitaires. Et les Européens discutent actuellement de deux autres règlements importants qui pourraient avoir des effets considérables. "Ils proposent de rendre transparents les algorithmes, et d’obliger les réseaux sociaux à dire précisément comment ils organisent la publication des messages, explique Alexandre Lazarègue, avocat spécialisé en droit du numérique. Pendant longtemps, ils se sont présentés comme de simples boîtes aux lettres en disant qu’ils se contentaient de diffuser des messages postés par les utilisateurs. Mais on a compris, peu à peu, qu’il y avait des algorithmes qui déterminaient une ligne éditoriale, une orientation, et que des messages polarisants et radicaux étaient plus souvent mis en avant que des messages promouvant le vivre ensemble. Donc, petit à petit, il y a une volonté d’entraver la puissance des Gafam."
En attendant, la gigantesque panne qui a atteint Facebook, Messenger, Instagram et Whatsapp, début octobre, a montré à quel point le monde entier était accro à ces réseaux. Et les problèmes de sécurité des données ne semblent pas dissuader les utilisateurs. "En février, Whatsapp a été critiqué en changeant sa politique de données personnelles, mais la migration des usagers vers une autre application comme Signal n’a pas abouti, à cause d’une sorte de paresse intellectuelle, observe Catherine Lejealle, sociologue spécialiste du numérique, et enseignante-chercheuse à l’ISC Paris. Les deux applications sont gratuites et se ressemblent. Mais le changement demandait un effort et une coordination. Il y a tout de même eu une prise de conscience, mais les utilisateurs se disent que les données qu’ils partagent ne sont pas très importantes. Sauf que les photos publiées, par exemple, contribuent à affiner notre profil et à le revendre plus cher."
Les réseaux sociaux ne devraient donc pas encore disparaître. Et Facebook non plus, d’après Julien Le Bot : "Dans les années 2000, Microsoft a eu des problèmes avec les autorités de régulation américaines, rappelle le journaliste. L’entreprise a été encadrée davantage, mais ça n’a pas empêché Bill Gates d’avancer. Aujourd’hui, Windows reste très présent sur les ordinateurs. Donc, je pense que Facebook va tout de même rester une entreprise très puissante de la Silicon Valley." En attendant, Mark Zuckerberg a répondu aux accusations de Frances Haugen, en assurant que son groupe ne privilégiait pas les profits à la sécurité de ses utilisateurs. Preuve que le sujet taraude les Etats-Unis : le Time, l’un des plus grands hebdomadaires américains, a fait sa Une avec cette question : faut-il supprimer Facebook ?
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