"Le discernement, c'est l'écoute accumulée jusqu'à l'évidence", nous rappelle François Bert, consultant en discernement et en accompagnement. Auteur, il a publié "Le discernement", aux éditions Artège. Il a développé une solide expérience dans le domaine de la prise de décision, du management, et du coaching des cadres dirigeants. François Bert met l'accent - à contre-courant du monde de l'immédiateté - sur le silence et la solitude, deux points de repères essentiels pour un discernement fait avec recul sur les événements et le réel qui nous entoure.
Au micro d'Yves Thibaut de Maisières, il vous proposera sa réflexion très éclairante et à contre-courant sur le sujet. Aider les équipes à prendre des décisions, permettre de développer sa carrière professionnelle avec succès, ou remettre en question un mode de management.
D’une part, je veux pouvoir offrir cet ouvrage à un maximum de personnes pour les aider à comprendre le discernement comme étant une disposition naturelle de l’humain, plus naturelle qu'un travail de raisonnement laborieux, comme il a pu être présenté parfois en le restreignant à la portée purement individuelle. D'autre part, il y a plusieurs formes d'intelligence, et c'est là tout l'enjeu du travail sur les personnalités. Là où on a pu considérer que l'intelligence était aujourd'hui l'intelligence savante de ceux qui sont capables de répondre à tout dans l'absolu comme un dictionnaire.
Je développe les types d’intelligence dans la troisième partie de mon livre. Pour faire simple, on est tous prêtres, prophètes et rois, mais il y a bien des prêtres, des prophètes et des rois. Certains sont des génies du contenu, d’autres sont des génies de l'interaction, et puis il y a des gens qu'on néglige, hélas, qui sont des génies de la décision. Il y a des gens qui sont capables d'aller très vite pour occuper tous les espaces, mais sans jamais rien produire, c'est de l'intelligence même de ce que j'appelle l'intelligence de captation.
Dans les métiers de discernement – le domaine de la justice, par exemple, vous vous apercevez que les magistrats ne sont pas assez formés à la prise de décision. Ils sont très formés sur les codes, sur la théorie ; et à l'opposé, sur des histoires d'accompagnement humain, l’évaluation des situations avant de donner leur verdict, ils sont pour moi sous équipés, ce qui les amène à prendre des décisions aux conséquences dramatiques.
L'idée est très simple : aujourd'hui, la plupart des élites ont des conseillers en communication et des conseillers techniques, mais pas de conseillers en discernement. C’est l’une des raisons qui explique que les décisions sont souvent données à court terme, dans l’immédiateté. Le métier de discernement nécessite d’avoir recours aux bonnes personnes. Ce n'est pas un métier que vous allez apprendre au moyen d’une formation théorique courte. Les gens qui font du conseil en discernement, pour moi, doivent être des chefs naturels qui fonctionnent intrinsèquement avec une position de recul, une capacité à trier, et avec de l’expérience ça sera toujours mieux.
Le silence ouvre au discernement. Quant à la solitude, elle crée les conditions de cet accueil du silence.
Pour moi, il faut descendre dans ses profondeurs personnelles, d'où le rapport à la solitude. Là, on parle de discernement individuel. Le drame aujourd'hui, dans les choix professionnels, c'est qu’on croit qu’il faille obligatoirement trouver un job qui soit aligné au diplôme qu'on a obtenu. Le problème, c'est quand la modalité quotidienne du diplôme ne correspond pas à ce qu'on s'est imaginé.
C'est ce que j'appelle le syndrome du Haras. Ca n’est pas en raison d’une passion pour le cheval qu'il faut être manager de haras. On va renouveler le problème dans le choix d'un métier. Quand on se connaît soi-même, il faut choisir la modalité d'exercice qui permet de concrétiser un métier-passion. Dans l'approche d'un métier, regardons ce qu'on produit d'intrinsèque, est-ce qu'on produit du lien, du contenu, de la décision ? Cette dynamique nous encourage non pas à choisir des métiers qui ont des “étiquettes” plaisantes, des titres, des statuts, mais à regarder de façon pragmatique ce qu'on attend de nous et la manière dont on peut avoir une fécondité. Qu’est-ce qui va me permettre de déployer ma mission et mon talent ?
La meilleure manière de sauver le monde, c'est d'être soi. Chacun doit prendre le temps de vivre son chemin singulier et s'apercevoir que la fécondité se trouve dans ce chemin. C’est à partir de là qu’il pourra offrir au monde ce qui lui manque. Discerner sa propre mission, ça commence par l'écoute des événements.
Les épreuves de la vie ne sont pas des murs, mais des mains délicates qui nous emmènent malgré nos entêtements vers notre juste chemin. Plus on se met à l’écoute, moins on se projette ; plus on accueille la réalité et les événements tels qu'ils viennent, plus on s'aperçoit qu' on est amené à être sur un terrain où on pourra se déployer et être fécond. L'autorité, pour moi, c'est la puissance d'accomplissement de notre mission quelle qu’elle soit.
On vit dans un monde qui court sur les idées, qui parcourt pléthore de choses, mais qui concrètement s'enracine peu, parce qu'il ne prend pas le temps du concret, celui qui permet de rejoindre la percolation de l'exécution. Pour soi c'est bien le terrain qui commande, et donc c'est bien ce danger de la mine explosive qui va cadencer notre avancée.
Quand on raisonne de façon collective, notamment en entreprise, on s’aperçoit que la réponse à la complexité - puisqu'il s'agit à la fois de vivre au quotidien et d’anticiper l’avenir – c'est d’avoir une équipe complémentaire. Cela vous démontre l'intérêt des binômes complémentaires pour faire avancer les équipes. Il y a des gens qui sont naturellement automoteurs, qui ont besoin de voir le temps d'après, et être d'ailleurs assez impatients d’arriver au résultat, et puis il y a ceux qui ont davantage une forme d'enracinement, de déploiement. Les deux personnalités seront essentielles ! L'idée étant que celui qui donne la cadence, c'est celui qui a la main sur le réel. En revanche, celui qui a la vision est là pour pousser derrière.
La question de la place, elle va procéder de deux choses. Il y a deux séquences : la connaissance de soi d’abord, et la deuxième chose c'est l’art de déployer cette contribution singulière dans le temps. On passe dans sa vie par des étapes qui ne sont pas forcément celles que l'on a prévues. Pour vous donner une image très simple, ce n’est pas parce qu'on vise un sommet qu'on évite les cols.
Le discernement, c'est l'écoute de l'étape. L'issue est celle qui nous est donnée maintenant et qui nous apparaît comme une évidence parce qu'on est plongé dans un contexte singulier. La dynamique se joue à l'intérieur. Pour trouver sa place, il faut savoir quelle est sa finalité, certes sa connaissance de soi.
Après avoir été capitaine à la Légion étrangère, j'ai travaillé dans la finance, ce qui pourrait paraître un non-sens. Mais au moment où j'ai fait mon choix, cette option-là m’est apparue comme une évidence. Tout s'alignait, tout était simple, tout allait dans le sens pratique. C'est par après que je me suis rendu compte que ce pas de côté m'avait permis de rentrer au cœur de la connaissance du monde économique en juillet 2007, en pleine de crise financière. Ce choix m'a permis d'avoir accès à un réseau que je n'aurais jamais eu avant et m’a permis ensuite d'avoir une forme de crédibilité auprès des dirigeants. Pour moi, ce qui est très apaisant, c'est que le fait de prendre une décision, m’a fait raisonner sur ce qui était bon pour moi.
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