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Fin de vie : "C'est comme s'il y avait une urgence à mourir"

Un article rédigé par La rédaction - RCF, le 7 décembre 2023 - Modifié le 29 mai 2024
L'Invité de la MatinaleLoi sur la fin de vie : "Il faut accepter de mieux comprendre la mort" considère Sarah Carvallo

 

Qu'est-ce qui fait hésiter Emmanuel Macron ? La présentation du projet de loi sur la fin de vie est à nouveau reportée, cette fois à "début 2024", a annoncé le porte-parole du gouvernement ce mercredi 6 décembre. Si le président de la République peine à trancher sur le sujet c'est sans doute parce qu'autoriser l'aide active à mourir est lourde d'enjeux pour toute la société. Des enjeux que nous détaille la philosophe Sarah Carvallo, co-présidente de la plateforme nationale pour la recherche sur la fin de vie.

 

"S’il y avait évolution de la loi vers le suicide assisté ou vers l’euthanasie, il y aurait un changement qu’on pourrait qualifier quasiment de civilisationnel", estime la philosophe Sarah Carvallo ©RCF"S’il y avait évolution de la loi vers le suicide assisté ou vers l’euthanasie, il y aurait un changement qu’on pourrait qualifier quasiment de civilisationnel", estime la philosophe Sarah Carvallo ©RCF

 

Prévu pour la fin de l’été 2023, reporté à septembre, puis décembre, le projet de loi sur la fin de vie doit finalement être présenté au Conseil des ministres au début de l'année 2024. On pressent une vraie hésitation de la part d’Emmanuel Macron sur le sujet. Un ministre l'a dit, le président veut "aller le moins loin possible, et le moins vite possible", d'après nos confrères de Franceinfo.

 

Fin de vie : l’hésitation d’Emmanuel Macron

Qu’est-ce qui fait hésiter Emmanuel Macron ? A-t-il connaissance de ce que disent les chercheurs ? "S’il y avait évolution de la loi vers le suicide assisté ou vers l’euthanasie, il y aurait un changement qu’on pourrait qualifier quasiment de civilisationnel." C’est ce qu’affirme Sarah Carvallo, philosophe et co-présidente de la plateforme nationale pour la recherche sur la fin de vie, lancée en 2018 par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche et le ministère de la Santé.

"Le droit à la vie" est "un des droits fondamentaux défendus aussi bien par la constitution française qu’à l’échelle de l’Europe", souligne cette professeure de philosophie à l'université de Lyon, qui a dirigé la publication de l’ouvrage : "Fins de vie plurielles - Mourir en démocratie" (éd. Presses universitaires de Franche-Comté, 2021).

 

Aide active à mourir : en quoi est-ce un bouleversement anthropologique ?

Le premier point de rupture porte sur la pratique de la médecine et la notion de soin. "Aujourd’hui, explique Sarah Carvallo, le débat c‘est de savoir si tuer, soit sous la forme de suicide assisté - c’est-à-dire d’une prescription qui donnerait accès à un produit létal auquel aujourd’hui les citoyens n’ont pas accès - soit sous la forme d’une euthanasie… est-il de l’ordre du soin ?" La philosophe précise que "les médecins se sont mobilisés pour affirmer que tuer ne pouvait pas être un soin". Ou alors c’est la notion de soin qui s’en trouverait transformée.

"Il y a une forme de décalage, observe la philosophe, entre une approche très compassionnelle de ces situations de fin de vie" et cette nouvelle approche du soin. Sans nier la grande difficulté dans laquelle se trouvent "beaucoup de patients, de familles, de médecins", Sarah Carvallo rappelle que "le seul philosophe qui ait revendiqué pour les médecins non seulement le droit mais le devoir de tuer, c’est Nietzsche, qui disait que les personnes dépendantes, il fallait les mépriser, il fallait les tuer… Je ne crois pas, ajoute-t-elle, qu’aujourd’hui personne ne puisse suivre Nietzsche sur ce point-là."

 

C'est comme si les gens, d’une certaine façon, voulaient aller vite, il y avait une urgence de mourir, d’accélérer cette dernière période

 

La liberté de mourir en question

Les partisans de l’aide active à mourir défendent une forme de liberté. Pour la philosophe, on est là encore devant une modification de la "conception anthropologique de l’homme" si l’on considère que seule "la raison est mise en œuvre" dans une telle décision. "Heureusement nos existences ne se réduisent pas seulement à la sphère rationnelle."

Un sondage* d’avril 2023 sur l’aide active à mourir montre le regard ambivalent des Français sur la question. 70% d’entre eux se disent favorables à une aide active à mourir. Cependant, s’il s’agit pour eux-mêmes de recourir à une euthanasie en cas de maladie grave, ils ne sont que 36% à le vouloir.

Le Comité consultatif nationale d’éthique (CCNE) dans son avis 139, a identifié que "l’expérience de la mort n’est plus vue comme une expérience humaine nécessaire", rapporte Sarah Carvallo. Pour elle, "c'est comme si les gens, d’une certaine façon, voulaient aller vite, il y avait une urgence de mourir, d’accélérer cette dernière période". 

 

→ À LIRE : Fin de vie : que faire en cas de maladie neurologique grave ?

 

"Faut-il médicaliser la souffrance existentielle ?"

Réduire la période de la fin de la vie pour éviter la douleur, c’est souvent ce qui est défendu dans l'aide active à mourir. "Aujourd’hui la loi française permet vraiment de prendre en charge la douleur", répond la philosophe. Il existe en effet ce que l’on appelle la sédation profonde et continue jusqu’au décès, assez mal connue en France

Quant à la souffrance dite existentielle, on touche là à "une réalité d’ordre psychologique, spirituelle, mystique, métaphysique". Elle est intimement liée à notre condition humaine. "Cette souffrance existentielle, faut-il la médicaliser ?" interroge la philosophe. "N’est-elle pas consubstantielle à notre expérience d’humain ? Interdire aux gens de la vivre, n’est-ce pas les amputer d’une véritable dimension de l’humanité ?"

 

 


* sondage Ifop pour le JDD, avril 2023

 

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