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« Gérard Collomb, c'était Lyon. Et Lyon, c'est quelque chose » : retrouvez le discours d'Edouard Philippe aux obsèques de Gérard Collomb

Un article rédigé par Jean-Baptiste Cocagne - RCF Lyon, le 22 décembre 2023 - Modifié le 22 décembre 2023

Plusieurs personnalités ont tenu à rendre hommage à Gérard Collomb lors de ses funérailles, célébrées le mercredi 29 novembre 2023 à la primatiale Saint-Jean-Baptiste de Lyon. Parmi elles, l'ancien Premier ministre Edouard Philippe, chef du gouvernement dont Gérard Collomb a fait partie lorsqu'il a été ministre de l'Intérieur pendant le premier quinquennat d'Emmanuel Macron (mai 2017- octobre 2018).

Edouard Philippe prononce un discours lors des obsèques de Gérard Collomb - DREdouard Philippe prononce un discours lors des obsèques de Gérard Collomb - DR
Obsèques Gérard Collomb : discours d'Edouard Philippe

« Amabam amare et amans amare quid amarem quaerebam ». Lorsqu’il prononce ses mots le 21 février 2018, le ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur, se tient dans l’hémicycle à l’Assemblée nationale. Comme souvent, l’atmosphère est électrique. Comme souvent, le ministre de l’Intérieur et ses collègues sont tenus de répondre aux questions les plus rudes et aux critiques les plus vives.

Et pourtant ce jour-là, d’une voix au timbre et au rythme reconnaissables entre tous, avec un imperceptible sourire aux lèvres et un œil malicieux, Gérard Collomb cite Saint Augustin. Ou plutôt, s’inspire de Saint Augustin. Car comme tous les vrais lettrés, le ministre de l’Intérieur cite de tête, en se réappropriant un long et beau passage, qu’il connaissait trop bien pour aller vérifier la lettre même des Confessions

Certains esprits chagrins s’empressèrent de clamer que ces mots étaient aussi déplacés politiquement que littéralement inexacts. Mais c’est précisément ce qui les rendaient aussi justes. Car ces mots, c’était du Gérard Collomb. 

Malgré les cris et les huées, sans se départir de cette détermination souvent flegmatique qui lui permettait de tenir sans jamais fléchir - le débat fut-il houleux - Gérard Collomb avait pris le temps de traduire cette citation qui restera donc, en partie, de son cru. « J’aimais aimer et aimant aimer, je cherchais qui aimer ». En reformulant à sa manière Saint Augustin, Gérard Collomb ne créa pas seulement un improbable instant de grâce, il nous livrait quasiment un autoportrait. 

Aimant aimer, il eut le bonheur de trouver qui aimer en choisissant de se battre, aussi longtemps qu’il le faudrait, aussi longtemps qu’il le pourrait, pour sa ville de Lyon. Sans doute cette passion pour Lyon ne fut-elle pas immédiatement réciproque. Mais il eut la patience, la constance et le talent de réussir à s’en faire aimer, non pas pour une saison d’amour passagère, mais en vivant, avec elle, une histoire durable, qui a pour jamais changé la capitale des Gaules. 

Dans la lignée d’Edouard Herriot, il parvint à accroître les puissances de Lyon, matérielles ou spirituelles. Rien n’avait prédestiné Edouard Herriot - qui était né à Troyes dans une famille modeste - à devenir maire de Lyon. Et rien ne prédestinait Gérard Collomb - qui était né à Chalon-sur-Saône dans une famille modeste - à conquérir par la gauche cette citadelle réputée imprenable. Rien. Rien si ce n’est son sens acharné du travail que lui avait transmis ses parents et sa foi en la République. 

La République lui offrit les premières lumières de la méritocratie jusqu’à l’agrégation de lettres classiques et un mémoire sur le stoïcisme. Elle inspira sa volonté de s’engager en politique parce qu’il croyait que la fraternité n’était pas seulement une grande valeur républicaine, philosophique et religieuse, mais une réalité à conquérir et à reconquérir avec un peu plus d’acharnement et de lucidité chaque jour. 

De l’Assemblée nationale au Sénat, du 9e arrondissement de Lyon à l’Amérique latine, de la mairie de Lyon à la place Beauvau, il resta toujours fidèle à ce slogan « voir loin rester proche » qui le mena vers la victoire en 2001.

« Gérard Collomb, c'était Lyon. Et Lyon, c'est quelque chose »

J’ai rencontré Gérard Collomb assez tard, bien après beaucoup d’entre vous. Mais je l’ai rencontré deux fois. Et il n’est pas si fréquent que l’on rencontre deux fois de suite quelqu’un pour la première fois.

La première fois c’était en 2017. Il rejoignait le gouvernement avec une aura très particulière du fait de son expérience, de son poids politique et du rôle prépondérant qu’il avait joué au cours de la première campagne du président de la République. Il rejoignait le gouvernement, premier des ministres d’Etat dans l’ordre protocolaire, avec un style qui tranchait sur celui de ministres plus jeunes, tant il avait quelque chose des grandes figures qui ont marqué la troisième République. Une sédimentation d’expérience intellectuelle, humaine et politique. Une culture littéraire qui renvoyait aux racines les plus profondes et les plus fécondes de notre nation. Un pouvoir d’incarnation sans égal. 

La politique est avant tout affaire d’incarnation. Et Gérard Collomb, c’était Lyon. Et Lyon, c’est quelque chose. 
Il ne rejoignait pas le gouvernement par ambition, ni pour faire carrière puisqu’il était déjà auréolé de bien des victoires électorales. Il rejoignait le gouvernement parce qu’il croyait en un homme, en une aventure collective et parce qu’il avait envie d’être utile comme il l’avait été à Lyon, comme il l’avait été en faisant de la métropole lyonnaise un laboratoire de l’action politique, sans équivalent sur le territoire national. 

Il rejoignait le gouvernement parce qu’il avait envie de transformer profondément ce pays qu’il aimait. A partir de 2017, j’ai découvert en Gérard Collomb un ministre de l’Intérieur qui assumait ses fonctions régaliennes avec une immense conscience des responsabilités qui lui incombait. Infiniment cultivé, il ne se payait jamais de mots. Et même si les arcanes de la politique n’avaient plus de secret pour lui, il avait conservé une authentique sincérité et un franc-parler qui pouvait détonner. Non pas pour faire des coups d’éclat, mais pour présenter les choses comme il se sentait le devoir de les dire, afin de nous mettre collectivement devant nos responsabilités.

Devenir ministre de l’Intérieur, c’est percevoir quotidiennement toutes les violences, toutes les fissures qui ébranlent notre pays. De la tempête Irma aux attentats de Trèbes, il y eut dès le début du mandat des moments de grande tension, des moments de grande douleur auquel Gérard Collomb su répondre avec une conscience aigüe de ce qu’il devait aux Françaises et aux Français, et de ce qu’il devait à la France. 

Il sut défendre des lois nécessaires avec le souci constant d’assurer l’ordre public sans porter atteinte au respect plein et entier que nous devons à l’Etat de droit. Si je devais résumer ce qui m’impressionnait le plus chez Gérard Collomb, c’est certainement cette profondeur de pensée, qu’il n’avait pas seulement forgée dans les livres, mais longuement mûrie sur le terrain de l’action politique, au contact des gens, ce qui lui donnait un solide bon sens, et un pragmatisme assez réjouissant. 

Défenseur de la « sagesse dorée de la modération »

J’admirais - même s’il m’est arrivé d’en faire les frais - sa capacité à réinterroger méthodiquement et implacablement tout ce qui lui semblait mériter un examen plus approfondi, y compris lorsque les arbitrages avaient déjà été rendus.
J’admirais aussi qu’un homme structuré politiquement par une longue pratique de la gauche française soit resté aussi libre de parcours et d’esprit, bien au-delà du périmètre de son ministère.

Social-démocrate - et peut-être encore plus saint-simonien -, il croyait aux vertus de l’entreprise et de la redynamisation économique des territoires, pour que le partage des richesses et le progrès social ne restent pas des vœux pieux. Lui qui aimait la philosophie grecque et latine, sans doute se disait-il parfois comme l’empereur Adrien sous la plume de Yourcenar, que « tout est à faire dans l’ordre d’un intelligent réagencement économique du monde ».

Mais là où d’autres appelaient aux renversements les plus radicaux, Gérard Collomb ne cédait pas aux sirènes des idéologies agressives. Il leur préférait le juste milieu qui vaut de l’or, ce que les latins chérissaient sous le nom d’aorea mediocritas et j’ajouterai si j’osais, que les Lyonnais ont en commun avec les Normands d’être, dans leur majorité, de vrais Latins chaque fois qu’il faut défendre cette sagesse dorée de la modération. 

Pendant les seize mois qu’il a passés au gouvernement, j’ai pu admirer son humanisme, dont je me refuse à croire qu’il serait l’apanage d’une autre époque. Gérard Collomb excellait à ramener les grandes questions, les grandes problématiques, les grands principes à hauteur d’homme, et peut-être plus encore, à hauteur de ses filles. Je ne crois pas qu’il n’ait jamais pris une décision politique sans se demander au plus clair de sa conscience si c’était la meilleure décision pour que ses enfants, pour que nos enfants, grandissent dans une France apaisée et fraternelle.

Le combat contre la maladie et le retour à l'essentiel

J’ai donc rencontré Gérard Collomb une première fois au cours de ces seize mois passés ensemble au gouvernement. Mais j’ai vraiment rencontré Gérard Collomb après son départ du gouvernement. Dans cette dernière période de sa vie, celle d’après les combats, d’après la conquête, d’après les responsabilités et les honneurs, celle où, plus seul, moins influent, il pouvait songer peut-être plus librement encore, à ce qu’il avait fait et réfléchir à ce qu’il faudrait encore faire. Cette période où il avait engagé son combat contre la maladie. 

Le dernier acte d’une vie pleinement consacrée à la lutte contre les dérèglements et les fragilités du corps social, aura été ce combat contre une maladie qui s’attaquait à son corps à lui. Lorsqu’il a commencé ce dernier combat, Gérard Collomb n’avait plus grand-chose à découvrir de la comédie humaine dont la politique offre à l’évidence des tableaux instructifs. Il lui restait néanmoins à découvrir cet « infini du cauchemar qu’est la maladie » comme l’écrivait Céline. Il découvrit aussi combien la maladie nous ramène, au fond, à l’essentiel. Comme le décrit Marcel Proust qu’il aimait tant.

Il découvrit dans la maladie l’essentiel du face-à-face avec cet étranger auquel nous sommes enchaînés, et qui finit toujours par avoir le dernier mot, puisque c’est notre corps. L’essentiel que l’on peut regarder avec une extrême lucidité, lorsque les méandres de la vie et le caractère implacable de la mort ont fait le vide autour de nous.

Cet essentiel pour Gérard Collomb, ce furent les proches qui l’ont entouré jusqu’au bout, en lui permettant de s’éteindre paisiblement. Et mes pensées les plus émues s’adressent aujourd’hui à ses cinq enfants et à son épouse Caroline.
Et puis cet essentiel, pour cet homme politique à la culture classique, cela aura toujours été l’avenir.

Vous m’avez dit chère Caroline, que l’un des poèmes que Gérard a beaucoup lu dans les mois de sa maladie, c’était « Beaux endormis » de Victor Hugo. Ce poème magnifique, biblique, shakespearien, c’est l’histoire d’un homme qui arrive au soir de sa vie et qui se couche de fatigue, accablé par une vie de labeur. C’est l’histoire d’un homme généreux qui réussit à marcher pur, loin des sentiers obliques.

Mais « Beaux endormis », ce n’est pas seulement l’histoire d’un homme âgé qui regarde tomber le soir sur toutes ses solitudes. C’est l’histoire d’un homme qui reçoit une illumination, car la porte du ciel s’étant entrebâillée au-dessus de sa tête, un songe en descendit. Et ce que lui montre ce songe, c’est qu’il ne mourra pas sans postérité, mais en laissant derrière lui une longue descendance et un grand héritage, qui continueront à croître longtemps après lui.

Ce poème, c’est évidemment du très grand Hugo. Mais c’est aussi un peu du Gérard Collomb. Car au soir de sa vie, quand il s’est couché pour la dernière fois en regardant derrière lui et plus encore devant lui, la porte du ciel a dû s’entrebâiller pour lui montrer que lui aussi, il nous laisserait une longue descendance et un grand héritage. 

Un héritage fidèle à l'identité de la ville de Lyon

Son héritage, c’est cette cité de Lyon qui est restée son enracinement et sa fierté. Cette cité de Lyon dont il a requalifié les berges et redessiné l’horizon. Cette cité qu’il aimait, parce que sa vie avait fini par se confondre avec la sienne, avec toutes les siennes. L’héritage de Gérard Collomb, c’est de montrer combien la ville de Lyon est restée fidèle à ce caractère gaulois qui s’est affirmé depuis les débuts de la civilisation gallo-romaine et de l’ère chrétienne, fidèle à ce qu’elle est devenue pendant les siècles d’expansion marchande, bancaire et industrielle. Fidèle à l’engagement de celles et ceux  qui se battirent, parfois jusqu’au martyre - comme Jean Moulin - pour que nous restions un grand pays libre. Libre et souverain. 

Lui, Gérard Collomb, le fils de métallo, il nous a prouvé que la capitale des Gaules est restée ce chaudron, peut-être un peu magique car tellement français, où des femmes et des hommes n’en finissent pas de puiser l’énergie, l’envie, le talent et la fierté d’écrire une nouvelle page, parfois glorieuse, et surtout rassembleuse, de l’Histoire de France. 

L’héritage que nous laisse Gérard Collomb, c’est l’espoir d’une France fraternelle, c’est-à-dire combattive, car il savait que la fraternité n’est jamais une attente, jamais un courant naturel, mais qu’elle est toujours un combat pour que triomphent nos valeurs. Nul ne le formulait mieux que Jean Jaurès, que Gérard Collomb admirait tant. Or, vous le savez, l’un des derniers discours de Jean Jaurès, quelques jours avant d’être assassiné, c’est à Vaise qu’il le prononça le 25 juillet 1914. Vaise, devenu ensuite la terre d’élection de Gérard Collomb. 

Dans ce discours, Jean Jaurès est profondément inquiet à l’idée que la guerre, malgré tous ses efforts, soit désormais imminente. « Chaque peuple paraît à travers les rues de l’Europe avec sa petite torche à la main, et maintenant voilà l’incendie » dit Jaurès. Toute sa vie, Gérard Collomb s’est battu pour éteindre des feux, dont il savait combien nous courons de risque à les laisser s’embraser, jusqu’à ce qu’ils forment des incendies impossibles à éteindre. 
Ses feux qu’il essayait d’étouffer de la mairie de Lyon à la place Beauvau, c’étaient tous ses vieux ennemis, toutes les formes de pauvreté, de violence et de fanatisme. Dire que Gérard Collomb se battit uniquement pour étouffer des feux serait cependant inexact. On n’éteint jamais rien sans allumer d’autres lumières que l’on essaie de rendre bien plus puissantes, bien plus durables et secourables. 

Gérard Collomb se battit toute sa vie pour diffuser les lumières de la culture, de la solidarité, du travail, toutes ces lumières qui lui avaient été données. Aujourd’hui, en cette primatiale où le cœur des Lyonnais et de bien des Français bat à l’unisson, nous savons que l’héritage de Gérard Collomb, c’est cette flamme de la République qui ne doit pas s’éteindre.

Et dans quelques jours, quand chaque fenêtre s’illuminera pour cette fête des Lumières qu’il affectionnait particulièrement et qui transfigure chaque année les monuments de Lyon, les plus humbles aux plus majestueux ; je suis assez certain que les Lyonnaises et les Lyonnais penseront, avec infiniment de reconnaissance et d’émotion, à celui qui eut le bonheur, l’honneur et la fierté d’être leur maire pendant presque vingt ans, Gérard Collomb.

Retrouver l'hommage du président de la République Emmanuel Macron à Gérard Collomb

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