Environ 2000 enfants autochtones ont été placés en internat dans huit pensionnats fondés par l’Église catholique et soutenus par l’État depuis la fin des années 40. Une assimilation forcée dénoncée par des universitaires, des élus et plusieurs associations guyanaises. Ils demandent, désormais la création d’une commission "vérité et réconciliation" pour faire la lumière sur les accusations de violences systémiques à l’intérieur de ces pensionnats.
Ils seraient environ 2000 à être passés dans les "homes indiens" de Guyane. Dans les années 1930, ces pensionnats ont vu le jour à l’initiative de l’Église. À l’époque, le territoire est encore considéré comme une colonie. Il ne deviendra un département qu’en 1946.
La loi de 1905 ne s’appliquant pas sur place, l’État confie en 1949 aux congrégations, la mission d’éduquer et d’assimiler ces enfants amérindiens et issus des descendants d'esclaves, qualifiés par le droit de l’époque de "populations primitives". Le processus a aussi concerné des enfants issus des descendants d’ancien esclaves. Cette stratégie a été contractualisée en 1949 par un arrêté préfectoral. L’État impose alors une contrainte de placement obligatoire.
"Cette politique française d’assimilation forcée est longtemps restée, un non-sujet en Guyane" explique Hélène Ferrarini. En 2022, cette journaliste publie le livre Allons enfants de la Guyane. Éduquer, évangéliser, coloniser les Amérindiens dans la République (Editions Anacharcis). Elle est l’une des premières à avoir creusé la question et a recueilli de nombreux témoignages.
Elle évoque le déracinement vécu de ces enfants placés, parfois dès l'âge de 4 ans : "Il faut imaginer le grand écart par lequel les enfants des homes sont passés. D’un mode de vie autochtone avec leur famille dans leur village, ils ont été catapultés du jour au lendemain dans un internat religieux avec une vie très encadrée. Tout cela a été vécu avec une grande violence par beaucoup de ces enfants."
La stratégie de l’État était d’assimiler ces enfants amérindiens en interdisant tous les usages et règles de vie autochtones, à commencer par la pratique de leur langue maternelle. "C’était interdit et il y avait un climat de peur. Je pense à une ancienne pensionnaire, elle m'a expliqué qu’une religieuse lui a tiré les cheveux après l’avoir surprise à parler sa langue maternelle", raconte Hélène Ferrarini.
D’anciens pensionnaires s’estiment victimes de l'effacement de leur identité culturelle. Pour eux, ce traumatisme perdure encore aujourd’hui.
Jean-Pierre Massias, professeur de droit et directeur de l'Institut francophone pour la justice et la démocratie (IFJD) a lui aussi mené une enquête sur place. Les conclusions ont été dévoilées en février dernier à l'Assemblée nationale. "Indubitablement, un certain nombre de violences ont été commises dans ces internats. Des violences politiques dans la mesure où les Indiens ont été forcés d’intégrer ces pensionnats. Des violences culturelles, des violences physiques aussi avec des méthodes éducatives dures et puis nous avons identifiés des cas de violences sexuelles".
Le rapport de IFJD préconise donc la mise en place d’une commission "vérité et réconciliation" pour faire toute la lumière sur ces pensionnats. "Je n’ai pas envisagé cette enquête en mode accusatoire, mais comme un signal d’alarme", souligne Jean-Pierre Massias.
Cette demande est soutenue par des personnalités, comme Jean-Marc Sauvé, l’ancien président de la Ciase et des élus nationaux ou locaux dont fait partie le député de Guyane, Jean-Victor Castor : "si tout le monde joue le jeu en posant les choses de façons très factuelles. On peut rentrer dans des processus, non pas de réparation, ou de guérison, mais des processus importants pour l’histoire même du pays et repartir sur des nouvelles bases."
Les partisans d’une telle commission estiment que cet outil a fait ses preuves dans d’autres pays ou des populations autochtones ont été victimes d’assimilation forcée comme en Australie, Canada ou Norvège.
"On ne peut rien reprocher à l’institution ecclésiale en tant que telle, elle ne peut pas être mise en cause", répond Mgr Alain Ransay, évêque de Cayenne. Pour lui, "les sœurs ne sont pas en cause" et "il est important de tenir compte du contexte, politique, historique et géographique de l’époque." Mgr Ransay redoute aussi un "amalgame" trop facile avec d’autres pensionnats mis en cause dans le monde, notamment canadiens.
À ce stade, l’évêque de Cayenne ne voit pas la nécessité d’une commission "vérité et réconciliation", même s’il indique qu'il répondra positivement à toute demande d’enquête. Le dernier "home" a fermé en 2023.
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