Première femme à avoir obtenu le baccalauréat en France en 1861, Julie-Victoire Daubié une féministe d’avant-garde, alors que le mot n’avait même pas encore été inventé. Et son combat passe par l’éducation. Elle a été préceptrice, journaliste, femme de lettre, militante du droit des femmes. En plus du bac, elle devient aussi la première femme licenciée de lettres en 1871 alors qu’elles n'étaient pas les bienvenues aux cours à la Sorbonne. Julie-Victoire Daubié a pourtant subi les affres d’une Histoire racontée par les hommes et reste une figure méconnue, doucement mise en lumière cette année par son bicentenaire et par la Poste qui sort un timbre à son effigie.
“Julie-Victoire Daubié veut prouver, par son propre exemple, que la femme n’est pas inférieure intellectuellement à l’homme et qu’elle n’est pas inapte aux études” expose d’emblée Amélie Puche.
L’idée décrite par cette chercheuse est répandue au XIXème siècle et explique notamment l’absence d’éducation pour les femmes. Amélie Puche a consacré sa thèse à ce combat des femmes : “Les femmes à la conquête de l’université (1870-1940) : les implications sociales et universitaires de la poursuite du cursus scolaire dans l’enseignement supérieur par les femmes sous la Troisième République”.
La femme deviendra dans la société tout ce qu’elle sera capable d’être
“Julie-Victoire Daubié est convaincue que les femmes ne sont pas inférieures intellectuellement, mais qu’elles sont infériorisées par le fait qu’on ne leur permette pas de faire des études” avance la post-doctorante qui travaille maintenant sur le projet Medif concernant les premières femmes médecins.
“Elle menait un combat qui allait largement au-delà de sa personne, elle voulait ouvrir quelque chose pour les générations après elles” abonde Frédéric Bouvier, propriétaire de la Manufacture Royale de Bains où est née Julie-Victoire Daubié. En passant le bac et en militant pour s'inscrire à la Sorbonne cette pionnière à bien conscience de se battre pour une cause qui va au-delà de son émancipation personnelle. On lui prête d’ailleurs ces mots : “la femme deviendra dans la société tout ce qu’elle sera capable d’être”.
À l’époque où Julie-Victoire Daubié, mène son combat, nous sommes sous le Second Empire, celui de Napoléon III. Le bac existe à peine depuis un demi-siècle sous sa forme moderne. “Il concerne seulement les garçons qui peuvent se payer le lycée et il est donc réservé à une infime partie de la population masculine” explique Amélie Puche. De leur côté, les filles sont surtout scolarisées par les religieuses dont “le but principal est de faire des bonnes chrétiennes, mais pas des filles qui sachent lire et écrire” assure-t-elle. L’enseignement secondaire n’existe pas pour les filles qui peuvent surtout apprendre à coudre et à compter.
Les filles n’ont pas accès à l’enseignement du latin et du grec qui sont essentielles pour obtenir le bac
La première difficulté pour prétendre au bac est donc d'acquérir les connaissances de base. “Les filles n’ont pas accès à l’enseignement du latin et du grec” expose Véronique André Durupt, biographie de Julie-Victoire Daubié. Or, à l’époque, les humanités sont essentielles pour obtenir le bac. ”Les premières bachelières sont les petites dernières de fratrie au sein desquelles elles assistent aux cours particuliers de leurs frères”, ajoute-t-elle. Julie-Victoire Daubié profitera en effet des cours de grec et de latin de ses frères. “Elle a d’ailleurs un frère qui était prêtre et qui avait un très bon niveau de latin” précise Véronique André Durupt. Elle passe à 20 ans un "certificat de capacité", sésame pour enseigner. En tant que préceptrice, elle enseigne ensuite le programme du bac à des enfants au sein de familles aisées.
Elle puise dans ce qu'elle a vu enfant, au contact de la misère des ouvriers de campagne, pour écrire son essai "La Femme pauvre au XIXe siècle". Couronné en 1859 du premier prix du concours de l'Académie des belles-lettres de Lyon. “C’est grâce à cela qu’elle s’est fait connaître et c’est cet épisode qui la lance vraiment vers le baccalauréat” précise Frédéric Bouvier. Elle parvient à s'inscrire aux épreuves à Lyon et, le 17 août 1861, elle est reçue à l'examen passé dans un local séparé.
Son succès a un écho dans la presse régionale. “On en trouve des traces dans toutes les régions” atteste Véronique André Durupt. “C’est salué comme une curiosité, mais plutôt positivement” assure-t-elle. Témoignage d’une époque : on ne parle d’ailleurs pas de “bachelière” mais de “bachelier”. “En 1861, les bachelières étaient des jeunes filles accompagnant les étudiants dans une joyeuse débauche” contextualise sa biographe. Julie-Victoire Daubié écrit elle-même : “J'ai rencontré partout, pour cette innovation, une bienveillance impartiale et des sympathies généreuses, dont je ne saurais trop remercier ma patrie et mon siècle”.
Le bac en poche, elle s’attaque à son véritable objectif : l’accès des femmes à l’université. “Elle veut faire bouger les universités anciennes et vieillissantes qui sont bourrées d’a priori et de traditions” explique Véronique André Durupt. Dans le viseur : la Sorbonne. En matière de tradition, l'université parisienne fait figure d’épouvantail. “Les femmes sont admises à l’université, mais à la Sorbonne elles n’ont pas le droit d’assister aux cours” souligne Amélie Puche. Elles peuvent assister aux cours en province ou au collège de France, mais pas à la Sorbonne. “Elle choisit spécifiquement la Sorbonne” assure Frédéric Bouvier. Selon lui, “il s’agit de montrer l’incohérence de ce type de schéma ”, car “elle pouvait passer une licence et le concours sans avoir le droit d'assister au cours”.
On ne veut surtout pas faire des bachelières, on veut faire des épouses et des futures mères de républicains
En 1872, Julie-Victoire Daubié et ses autres camarades en lettres rédigent une pétition. “Après une enquête du ministère, on va conclure que les femmes ne sont pas gênantes dans les amphithéâtres” poursuit Amélie Puche. “Suite à cette nouvelle bataille de Julie-Victoire, les femmes vont pouvoir assister au cours à l’équivalent des hommes” raconte-t-elle. En 1871, Julie-Victoire Daubié devient la première femme licenciée de lettres. En 1868 Emma Chenu, la deuxième bachelière, avait réussi à obtenir sa licence de sciences mathématiques auprès de la faculté des sciences de Paris.
Reste ensuite un long combat, près d’un demi-siècle, pour que les femmes aient l’assurance d’avoir accès aux connaissances de base nécessaires pour obtenir le bac ou des licences. “Le secondaire pour les filles sera seulement créé en 1880, bien après les premières bachelières” explique Amélie Puche. Des lycées pour les filles vont donc voir le jour. Sauf que leur but n’est toujours pas de préparer les femmes au baccalauréat.
“On ne veut surtout pas faire des bachelières, on veut faire des épouses et des futures mères de républicains” détaille la chercheuse. “Il faut apprendre les valeurs de la République par le lycée, mais ne surtout pas faire des femmes savantes. Il n’y a donc pas de philosophie, pas de latin et pas de sciences, qui pourtant sont nécessaires pour le bac” conclut-t-elle. Il faudra attendre 1924 pour que les filles aient les mêmes programmes que les lycées de garçons et donc les mêmes chances d’avoir le bac.
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