Scholastique Mukasonga est un écrivain de la mémoire, et elle a la mémoire vive. Non
seulement, elle se souvient de ses propres épreuves, mais c’est la mémoire de tout un
peuple qu’elle explore et ravive au fil de ses livres.
Lors du génocide rwandais, 37 membres de sa famille ont été assassinés.
Comment le pays en est arrivé là, mais aussi, qu’est-ce qui a fait l’histoire parfois heureuse,
parfois épique du Rwanda ? A travers ses romans, elle a fait revivre différentes époques :
dans ce nouveau livre aux allures de conte,
c’est la rencontre entre les croyances légendaires et les pères blancs catholiques
qu’elle met en scène. Et la concurrence est rude entre la tradition ancestrale et
l’évangélisation coloniale : « Qui vas-tu croire ?, interroge la vieille Mukamwezi,. Ce que
disent les padri (les pères blancs) ou ce que ta mère raconte le soir à la veillée ? »
De quoi attiser les conflits dans les villages…
En apparence, tout est calme : « Il n’y avait plus d’idoles puisque tout le monde était
baptisé. » Mais c’est en apparence seulement. Parce que la mémoire collective se
souvient de Kibogo, qui a fait venir la pluie aux jours de sécheresse, qui s’est sacrifié et
est monté au ciel, comme le Yezu des blancs. De cette vieille histoire, il reste des traces
sur le mont Runani, la montagne sacrée. Il y a bien Akayézu – le bien nommé petit Jésus
– qui tente la synthèse pour éviter que le village soit déboussolé, ne sachant plus à qui se
vouer… Il veut lire le latin, il entre au séminaire, et finit par annoncer son propre
message aux habitants qui écoutent avec avidité ce nouveau prophète : « il bénissait le
veau et l’enfant derniers-nés, la hutte, les greniers, les champs et les cruches (…) Ses
sermons attiraient une foule considérable – non pas qu’elle comprît quelque chose à ses
discours truffés de latin, mais on y accourait comme à un spectacle rare. » Arayézu en est
persuadé : « Les padri avaient tout brouillé pour tromper le peuple des collines, celui qui
habitait au centre du monde. »
Une histoire riche qui raconte un pays, ses racines, ses légendes…
Avec une écriture joyeuse, légèrement moqueuse et attendrie. Scholastique Mukasonga
s’amuse à entremêler le récit et la légende, elle nous entraîne dans ces histoires
rocambolesques qu’on se raconte de génération en génération, en les embellissant au fil
du temps. C’est tout l’art de raconter, grâce aux derniers témoins : « Parfois, une petite
fille oubliée aux pieds de la conteuse et qui avait refusé de s’endormir comme les autres
engrangeait dans sa mémoire, sans bien les comprendre, les mots enchantés du conte ».
On se laisse emporter : qu’importe la réalité, il y a parfois plus de vérité dans les
histoires que l’on raconte et qui commence ainsi : il était une fois Kibogo.
Kibogo est monté au ciel, de Scholastique Mukasonga, paru chez Gallimard. Et ce
soir, Au pied de la lettre, c’est à 21 heures…
Deux expéditions dans le froid et la glace, avec deux beaux romans, « Cent millions
d’années et un jour » de Jean-Baptiste Andrea et « Un monde sans rivage » d’Hélène
Gaudy.
Chaque jeudi à 8h44, Christophe Henning (La Croix) et Christophe Mory (RCF et Radio Notre-Dame) présentent le livre de la semaine.
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