Quelques semaines après la manifestation de Sainte-Soline et à deux jours d’une nouvelle journée de mobilisation contre la réforme des retraites, le maintien de l’ordre en France est de plus en plus contesté. Pointée du doigt par nos voisins européens, la France est-elle toujours capable de maintenir l’ordre ? À quelques mois du Mondial de rugby et à un peu plus d’un an des JO Paris 2024, la réponse n’est pas si évidente.
Violences policières. Le terme est devenu aussi politique que connoté. Quoi qu’il en soit, depuis plusieurs mois, il fleurit sur les réseaux sociaux, dans les commentaires de vidéos d'affrontements entre police et manifestants. Si la réforme des retraites a permis de ressouder une union syndicale presque oubliée, la défiance des polices envers les Français se dégrade. Encadré par le SNMO - schéma national du maintien de l’ordre - la réponse policière aux violences et dégradations de mobiliers urbains interrogent dans le pays des Droits de l’Homme.
La doctrine du maintien de l’ordre à la française a longtemps été considérée comme la meilleure en Europe. C’était sans compter sur la mutation des mouvements sociaux et de la contestation. En 2010, au moment où les pays européens décident de réformer leur police, en réponse notamment au hooliganisme dans les stades, la France décide de ne pas participer à cette réunion, organisée à l’initiative de la Suède.
Nos voisins prennent alors le pas de la stratégie de la désescalade, et les résultats sont probants. “On n’est pas passé à des stratégies de désescalade, c'est-à-dire des techniques qui visent à faire baisser la tension dans les manifestations”, constate Olivier Fillieule, professeur de sociologie à l’Institut d’études politiques de l'université de Lausanne et chercheur au CNRS. “Il y a deux solutions pour répondre aux violences en manifestations. Soit faire monter les tours, s’équiper plus, utiliser des armes de guerre, ou bien décider de faire baisser la tension et de mettre en place des manières de faire moins violentes”, poursuit le sociologue. “Ces dernières années, l’Italie ou l’Angleterre ont su tirer les leçons de leurs erreurs passées”, explique Émilie Schmidt, responsable plaidoyer et sécurité au sein de l’ONG ACAT France.
Le virage français n’est pas pris. Le constat presque fataliste semble politique. Pourtant, ce n’est pas la police dans son entièreté qui est pointée du doigt. “Ce n’est pas le modus operandi qui est contestable”, souligne Olivier Fillieule. Les BAC - brigades anti-criminalité - ou encore la BRAV-M - brigade de répression de l’action violente motorisée - sont dans le viseur depuis des semaines. “Ces autres corps, présents depuis le début des années 2000, ne sont pas du tout formés au maintien de l’ordre”, tacle Émilie Schmidt. Une affirmation confirmée par Olivier Fillieule “les CRS, les gendarmes mobiles, eux, sont formés au maintien de l’ordre”.
En commission à l’Assemblée puis au Sénat la semaine dernière, Gérald Darmanin réfute toutes accusations. “C’est quoi la Brav-M ? C’est des personnes qui sont des compagnies d’interventions donc évidemment formées au maintien de l'ordre”, assure le ministre de l’Intérieur. Il poursuit : “Ce n’est pas un problème de policiers ou de maintien de l’ordre. C’est un problème de violences urbaines et de guérillas”.
Voir un ministre de l’Intérieur défendre sa police n’a absolument rien d’étonnant. Encore plus en France. “Dans d’autres pays, le gouvernement n’a aucun problème à reconnaître que des erreurs ont été commises et à les sanctionner”, insiste Émilie Schmidt. Le rapport de force entre l’autorité civile - le politique - et la police est inversé, selon Olivier Fillieule. “L’autorité civile donne des consignes aux forces de police qui ne sont pas d’ordre technique mais d’ordre politique”, détaille-t-il. Par conséquent, “pour obtenir des forces de police qu’elles appliquent les consignes qui leur sont données, l’autorité civile est obligée d’accepter de toujours les défendre”.
Défendre sa police, un réflexe typiquement français qui fragilise le lien de confiance entre les forces de l’ordre et sa population. “Si l’on reconnaît qu’il est possible de faire des erreurs, alors on gardera le lien de confiance intact. Il est possible de faire des erreurs. On les sanctionne”, martèle la responsable plaidoyer et sécurité de l’ONG ACAT. Quelques mois après le fiasco du Stade de France, et à quelques semaines du début de la Coupe du monde de rugby 2023, le maintien de l’ordre s’impose comme un immense défi politique, social et sociétal. Comme une volonté de remonter la pente à un an des Jeux olympiques de Paris 2024.
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