La nouvelle guerre des monnaies de Christian de Boissieu et Marc Schwartz, un essai publié le 5 mars 2025 chez Odile Jacob, explique le rôle de l'argent et de la monnaie. Cette dernière a toujours été un outil d'influence et de domination pour les États. Alors, quelles sont les nouvelles dynamiques mondiales autour de la monnaie ? Décryptage avec Marc Schwartz, directeur général de la Monnaie de Paris.
La Monnaie de Paris, créée au IXe siècle, est le lieu où les pièces de monnaie étaient fabriquées. C'est désormais l'usine de Pessac (Gironde), qui assure depuis 1973 leur fabrication. Pour les États, avoir sa propre monnaie est un enjeu crucial puisqu’elle peut permettre à certains d’entre eux, comme les États-Unis, de financer ses déficits. Un moyen incontournable pour garantir une forme d'autonomie dans sa politique économique.
À l’origine, une guerre des monnaies signifiait une guerre entre les grands pays qui utilisaient leurs monnaies sous forme de dévaluation. Pour être plus compétitif, il fallait que les exportations et que les ventes à l’étranger soient meilleures. Ce qui signifiait "dévaluer sa monnaie".
C'est plutôt une forme de partage du monde
et de savoir qui va être la monnaie dominante demain
Aujourd'hui, cette guerre des monnaies a largement évolué : l’enjeu pour un État est d’imposer sa monnaie au reste du monde, celle-ci continuant d’être un outil de puissance au service des pays. "C'est plutôt une forme de partage du monde et de savoir qui va être la monnaie dominante demain", analyse le directeur général.
Trois belligérants principaux participent à cette guerre des monnaies. Tout d’abord le dollar — qui est de loin le numéro 1 même si le bitcoin prôné par Donald Trump représente une menace. L’euro, ensuite, est la deuxième monnaie sur le plan international en termes de réserves de change, même s’il représente 20 % seulement des réserves de change. Enfin le yuan, en Chine, le troisième, qui est à moins de 5 %.
Le dollar est donc aujourd’hui la monnaie dominante dans le monde puisqu’il représente 60 % des réserves de change mondiales. Des mouvements de rejet existent cependant avec les Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), par exemple, qui envisagent de créer leur propre monnaie.
S’agissant des entreprises privées, il y a quelques années, Meta (ex-Facebook), avec pas loin de 3 milliards d'utilisateurs dans le monde, avait lancé son projet de monnaie "Libra". Mais sortir du système bancaire public présentait des risques trop importants et Facebook avait finalement renoncé à son projet.
Depuis une quinzaine d'années, les cryptomonnaies actives montent en puissance. Certains pensent que ce sont des monnaies. Dans le livre, Christian de Boissieu et Marc Schwartz défendent la thèse contraire. Pour eux, trois choses définissent une monnaie : il faut que ce soit une unité de compte, un moyen de paiement et une réserve de valeur. Or, le bitcoin et les autres "cryptos" actives ne possèdent pas ces caractéristiques.
Les espèces, c'est un élément fondamental
qui permet de maintenir la confiance dans la monnaie
Lorsqu'on parle de monnaie, la notion de confiance est essentielle. Or, une étude avec l'Ifop qui interroge tous les ans les Français sur leur relation à l'argent montre qu’encore 85 % des Français déclarent qu'ils ne souhaitent pas voir l'argent liquide disparaître. "Les espèces, c'est une forme de lien avec ceux qui émettent la monnaie et donc c'est un élément fondamental qui permet de maintenir la confiance", explique l’expert.
Aujourd’hui, la montée des monnaies numériques est pourtant une réalité. D'après différentes études, 10 % des Français détiendraient des cryptos actives et on compte plus de Français qui détiennent des crypto actives que de Français qui détiennent des actions cotées en bourse. "C'est devenu quelque chose de très significatif aujourd'hui, mais c'est extrêmement volatile", résume le directeur général.
Il y a quelques années, Donald Trump était très "anti-Bitcoin", affirmant que ce n’était pas des monnaies. Depuis son arrivée à la Maison Blanche, c’est tout le contraire. Quand il a été élu, le Bitcoin a même gagné 50 % en quelques semaines, un chiffre très significatif.
Donald Trump a affirmé en 2021 qu’il n’aimait pas le Bitcoin parce qu'il concurrence le dollar. "Si on veut que le dollar soit la monnaie du monde, il ne faut pas faire émerger d'autres instruments qui pourraient le concurrencer", rappelle l’expert.
Si on veut que le dollar soit la monnaie du monde,
il ne faut pas faire émerger d'autres instruments
qui pourraient le concurrencer
L’actuel président américain a d'abord interdit à la réserve fédérale de continuer à travailler sur le dollar numérique. La Banque centrale européenne (BCE) affirme que l’euro numérique existera dans quelques années et la Banque centrale chinoise assure la même chose pour le yuan numérique.
En parallèle, Donald Trump ne cache pas son envie de développer davantage les cryptomonnaies. Une vision contradictoire car il n’est pas possible de voir, à la fois, le dollar dominer le monde et le Bitcoin prendre de l'importance.
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