Strasbourg
Après le succès du Nouveau Front Populaire au second tour des élections législatives, les tractations politiques s'intensifient. La gauche essaie de s'entendre sur un nom pour Matignon. Comment les institutions de la Vè République peuvent-elles s'adapter à cette situation hors norme ? Interrogé par Baptiste Madinier, le spécialiste en droit constitutionnel Benjamin Morel apporte son éclairage.
C'est un dilemme de taille pour le président de la République. Trouver un Premier ministre capable de gouverner en réussissant à faire passer les lois, et sans subir de motion de censure.
"Emmanuel Macron nomme absolument qui il veut. Il y a une vraie marge de manœuvre pour le président de la République", rappelle Benjamin Morel, expert en droit constitutionnel. Mais cette liberté est contrainte par la nécessité d'éviter une motion de censure de l'Assemblée, qui peut être votée avec plus de la moitié des voix du Parlement.
Le président de la République semble être dans l'impasse. "Si vous nommez un premier ministre du centre, pour Macron, il y a toutes les chances qu'une motion de censure passe. Mais toute la difficulté est également que si vous nommez un ministre du Nouveau Front populaire, il y a toutes les chances également qu'une motion de censure passe et qu'il tombe également", analyse Benjamin Morel. Pour le constitutionnaliste, "on peut avoir une majorité absolue, mais ça implique d'aller des LR aux communistes. Ce qui est évidemment une gageure compliquée". Sans cette majorité, la stabilité gouvernementale paraît difficile à atteindre.
En attendant la nomination d'un nouveau premier ministre, le gouvernement de Gabriel Attal reste en place, Emmanuel Macron ayant refusé la démission du Premier ministre hier, pour "assurer la stabilité du pays". Ce gouvernement pourrait donc subsister aussi longtemps qu'il ne fait pas face à une motion de censure.
Avec les Jeux Olympiques, il pourrait même bénéficier d'un répit temporaire. "En période de JO, dans l'intervalle du 18 juillet au 1er août où le Parlement va siéger, on peut avoir des groupes politiques qui décident de laisser survivre ce gouvernement, fût-il même aujourd'hui très minoritaire, partant du principe qu'il y a une nécessité de continuité de l'État en une période compliquée", pressent le constitutionnaliste.
En période de JO, les groupes politiques peuvent décider de laisser survivre ce gouvernement
Et pour la suite ? Revenir aux fondamentaux de la cinquième République pour arbitrer les conflits ? "Le droit constitutionnel et le droit de manière générale est particulièrement utile quand il y a un dissensus", rappelle Benjamin Morel. "Quand vous avez une période de fragilisation du consensus politique, c'est la règle qui permet d'arbitrer entre ceux qui ont raison et ceux qui ont tort, et les règles s'imposent à nouveau à nous", poursut-il.
L'occasion de redécouvrir un régime parlementaire où les majorités relatives ne suffisent pas à gouverner efficacement. "Vous pouvez être Jupiter autant que vous voulez, ça ne suffit pas à mener une politique, parce que les ministres que vous nommez peuvent se prendre des motions de censure", ironise le constitutionnaliste.
La situation actuelle pourrait marquer la fin de plusieurs décennies de vie politique. En revenant aux sources de notre régime, car "La Ve République a été pensée, construite pour des majorités relatives". "Avant 1962, il n'y avait jamais eu de majorité absolue en France" rappelle Benjamin Morel.
Une situation qui a changé ensuite, "avec l'élection présidentielle au suffrage universel direct, suivie souvent par des élections législatives qui confirmaient cette élection présidentielle". Ainsi, le président élu tenait non seulement l'Élysée, mais aussi le palais Bourbon et Matignon, grâce à une majorité parlementaire. Ce qui a conduit à "une concentration folle des pouvoirs dans les mains du président de la République", critique le constitutionnaliste, qui poursuit : "ce n'est pas dans la Constitution. Ce n'est même pas dans l'esprit des institutions, si tant est qu'il y en est un".
Il faut accepter le fait que le fonctionnement du régime politique, tel qu'on avait l'habitude de le voir, ne peut plus perdurer
La vie politique française va probablement évoluer pour ressembler davantage à celle de pays européens comme l'Espagne, l'Italie ou l'Allemagne, où les gouvernements de coalition sont courants. "Il faut accepter le fait que le fonctionnement du régime politique, tel qu'on avait l'habitude de le voir, ne peut plus perdurer". Les mécanismes de coalition risquent donc maintenant de devenir la norme en France. Avec, en perspective, un changement profond de mentalités pour les responsables politiques.
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