Qui va gouverner la France après le second tour des législatives ? Aucune majorité absolue n'est envisageable à l'issue du vote sauf par une alliance. En attendant, Emmanuel Macron a refusé la démission de Gabriel Attal et les tractations politiques ont déjà commencé. Quels sont les scénarios possibles ?
Les législatives anticipées provoquées par la dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin dernier n’ont pas clarifié la situation politique française. À l’issue du second tour, personne n’est capable de dire qui va gouverner la France ces prochains mois. Il y a quand même quelques certitudes.
La première : “L'Assemblée nationale ne pourra en aucun cas être dissoute avant le 9 juin 2025, même dans le cas où nous aurions une nouvelle élection présidentielle”, confiait, juste avant le scrutin, la constitutionnaliste Anne-Charlène Bezzina, de l'Université de Rouen auprès de l’AFP. “Par ailleurs, le pays ne peut se retrouver sans gouvernement au nom du principe de la continuité de l'État”, ajoute-t-elle. Ensuite, c’est le brouillard.
Arithmétiquement, le Nouveau Front populaire est le bloc politique le plus important à l’Assemblée nationale. Fort de sa victoire dans les urnes, le NFP estime qu’il est la plus à même de gouverner. La cheffe des écologistes, Marine Tondelier, a estimé sur RTL qu'Emmanuel Macron "devrait appeler aujourd'hui" la gauche à lui transmettre un nom de Premier ministre.
Mais sans majorité absolue à l'Assemblée, la domination numérique du NFP ne résout pas par la question du Premier ministre. D’autant qu’au sein même de l’alliance de gauche, le problème de l’incarnation est loin d’être simple. "Il faut que dans la semaine, nous puissions être en mesure de présenter une candidature" au poste de Premier ministre, a déclaré lundi le patron du Parti socialiste Olivier Faure. Jugeant qu'il ne fallait pas donner "le sentiment que nous ne sommes pas capables de gouverner", Olivier Faure a assuré que le choix se ferait "cette semaine", "soit par consensus", soit par vote.
On va prendre le temps qu'il faut et faire les choses étape par étape
Dans le même temps, la députée LFI Mathilde Panot a estimé que Jean-Luc Mélenchon, 72 ans, "n'est absolument pas disqualifié" pour le poste de Premier ministre, laissant augurer de tractations difficiles. Les tractations à gauche ont commencé dès dimanche soir et se poursuivent lundi. "On n'a pas besoin d'avoir un nouveau gouvernement nommé cette semaine, on n'est dans aucun des scénarios des cohabitations précédentes, on a tout à inventer", souligne de son côté la sénatrice socialiste Corinne Narassiguin. "On va prendre le temps qu'il faut et faire les choses étape par étape", a également tempéré Manuel Bompard, coordinateur national de La France insoumise.
Outre la question interne de savoir qui la gauche soutient pour être Premier ministre, reste le problème que le NFP n’a pas la capacité de gouverner seul en l’état. Le chercheur du Cevipof, Martial Foucault, reste d’ailleurs dubitatif : "ça reste un groupe minoritaire, une coalition de partis qui arrive première avec moins de 200 sièges". “Ça va prendre beaucoup de temps pour y voir clair sur un gouvernement de coalition", ajoute le politologue.
Fort de ce constat, le camp présidentiel et ses 163 sièges continuent de pousser pour avoir une large coalition, seule solution pour les macronistes de conserver le pouvoir. "J'y crois plus que jamais", a même affirmé Yaël-Braun Pivet sur France 2. Elle plaide pour une alliance avec les politiques qui partagent les valeurs et les objectifs de l’ancienne majorité. “Ce n'est ni le cas de LFI ni le cas du RN" précise-t-elle. De son côté François Bayrou juge également "possible" la constitution d'une majorité hors Rassemblement national et sans La France insoumise, jugeant que les partis de gauche formant la nouvelle union populaire, sortie en tête des législatives, ont "des attitudes et des choix politiques incompatibles entre eux".
Le camp présidentiel présentera des "conditions préalables à toute discussion" en vue d'une majorité, a prévenu le patron de Renaissance Stéphane Séjourné, citant la laïcité, la construction européenne et le soutien à l'Ukraine. Et concluant que "Jean-Luc Mélenchon et un certain nombre de ses alliés ne (pouvaient) gouverner la France".
Autre voix importante : le chef du parti Horizons, Edouard Philippe a lancé un appel aux “forces politiques centrales” dès le soir des élections. “Elles doivent sans compromissions favoriser la création d'un accord qui stabilisera la situation politique” a ajouté l’ancien Premier ministre qui assure être “à la disposition de ceux qui veulent dès ce soir participer à la reconstruction d'un espoir”.
Que disent les principales concernées ? La droite gaulliste des LR (les Républicains) a pour sa part semblé fermer la porte à une alliance avec les macronistes. "Pour nous, il n'y aura ni coalition ni compromission", a déclaré Laurent Wauquiez, élu député en Haute-Loire.
À gauche, le porte-parole du Parti communiste, le sénateur de Paris Ian Brossat a reconnu qu’il allait falloir “sur bon nombre de sujets, élargir [notre] majorité parce qu'elle ne suffira pas autrement". Même analyse de la part de l'écologiste Yannick Jadot: "il nous revient de construire des majorités autour de notre projet". "Nous ne sommes pas dans une situation de confort total", concède également Olivier Faure, le patron des socialistes. Mais ce dernier précise quand même : "Nous ne nous prêterons à aucune coalition des contraires."
En attendant, “juridiquement, le gouvernement Attal existe toujours” explique Thibaud Mulier, constitutionnaliste et maître de conférence à l'université Paris Nanterre. Emmanuel Macron a en effet refusé la démission de l’actuel Premier ministre. Le président demande à Gabriel Attal de rester à Matignon “pour le moment” afin d’“assurer la stabilité du pays”. Dans le viseur : assurer la continuité de l’État pendant les Jeux olympiques. La Constitution ne fixe pas de délai pour que le président nomme son Premier ministre.
Le fait que Gabriel Attal reste en poste ne signifie pas pour autant que le gouvernement continu son activité l’air de rien, comme avant les élections. Car si le président a tout à fait le droit de rejeter la démission du Premier ministre à ce stade, le gouvernement Attal pourrait être en danger à partir du 18 juillet.
Il s’agit d’assurer la continuité des services publics, mais le gouvernement ne pourra pas adopter des lois qui mettent en œuvre un programme
Selon l'article 12 de la Constitution, "l'Assemblée nationale se réunit de plein droit le deuxième jeudi qui suit son élection". Les députés élus ont donc jusqu’au 18 juillet pour former des groupes parlementaires et nommer leur président de groupe. Ensuite, se tiendra la première séance plénière avec l’élection du président de l’Assemblée nationale, puis le lendemain, des autres postes importants comme les commissions. Une fois installée, la nouvelle Assemblée nationale peut voter une motion de censure contre le gouvernement Attal.
S’il reste en place pendant les Jeux olympiques voir jusqu’à la fin de l’été, Gabriel Attal devra donc s'en tenir à l’expédition des affaires courantes. S’il venait à faire de la politique, il s'exposerait à cette motion de censure. “Je ne sais pas si politiquement, il serait judicieux de faire une motion de censure avant les Jeux olympiques”, questionne quand même Thibaud Mulier. Car cette perspective ouvre d'autres questions : les députés élus peuvent-ils se mettre d’accord pour voter une motion de censure ? Qui gouverne le pays en cas de motion de censure si les tractations pour avoir une coalition n’ont pas encore abouti ?
“C’est un saut dans l’inconnu” répond Thibaud Mulier. Mais s’il n’y a pas de remplaçant désigné, Gabriel Attal pourrait peut-être rester Premier ministre pour expédier les affaires courantes. Il ne s'appuierait pas sur la constitution, mais sur la jurisprudence du Conseil d’État. “Il s’agit d’assurer la continuité des services publics, mais le gouvernement ne pourra pas adopter des lois qui mettent en œuvre un programme” précise l’enseignant. Néanmoins, politiquement, une telle situation risque d’être difficilement tenable au-delà de l’été.
Emmanuel Macron parvient encore à être le maître des horloges
Reste alors le scénario d'un gouvernement dit technique qui serait composé d’experts : économistes et hauts-fonctionnaires, eux-mêmes dirigés par une personnalité consensuelle à Matignon. Un concept un peu flou en France qui n'a jamais existé sous la Ve République. Pour le moment, rien n’est fait, il y a tout à construire.
Et en attendant, le président, lui, veut attendre "la structuration de l'Assemblée" pour prendre des décisions. Il va donc falloir être patient alors que “nous sommes habitués à aller très vite sous la Ve République” analyse Thibaud Mullier. En agissant de la sorte, malgré la défaite, “Emmanuel Macron parvient encore à être le maître des horloges”, conclut le chercheur.
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