Il y a des temps où il nous faut oser poser des gestes qui sont autant de résistance à l’ambiance insalubre qui s’installe dans les esprits et dans les cœurs. Oser ainsi ployer le genou : voilà un geste qui a du poids. L’idée me vient, régulièrement, lors de la messe, une fois partagée la communion, lorsque j’observe le président déposer le ciboire au tabernacle et qu’il fait alors, avec ceux qui l’entourent, une ultime génuflexion avant de regagner son siège.
Oui l’idée me vient, je vous l’avoue humblement, que ce geste pourrait être proposé bien plus largement à toute l’assemblée. Chacun de ceux qui viennent de communier ne devrait-il pas, en regardant son voisin qui comme lui vient d’être renouvelé comme Temple de la Présence divine, s’incliner profondément devant lui et peut-être même poser genou à terre ?
Ne devrions-nous pas, les uns devant les autres, nous prodiguer ce geste de respect immense que nous posons parfois si naturellement devant le tabernacle dont la porte est fermée ? Il y a toujours cette question qui me taraude : comment se fait-il que nous, chrétiens, soyons parfois si prompts à vénérer l’invisible et si hésitants à respecter le visible ?
Je réfléchissais à cela l’autre jour, regardant comme beaucoup d’entre vous, les images effarantes qui parviennent des États-Unis. L’assassinat de George Floyd dont le film macabre relate les huit dernières minutes de vie durant lesquelles à 14 reprises il murmure ces simples mots qu’aucun homme ne devrait avoir à dire : "Je ne peux plus respirer." Et la violence de la colère qui s’exprime devant un monde où certains pensent qu’ils peuvent tout se permettre sans craindre le châtiment tandis que d’autres ne cessent d’avoir peur même s’ils ne font rien. Au milieu de cette humanité en ruines morale et juridique, au milieu des tweets cyniques et incendiaires, il y a ce geste inouï de ces hommes, de ces femmes, qui posent un genou à terre, comme dans une église.
À l’origine, il y a ce geste d’un footballeur noir américain, Colin Kaepernick qui, en 2016, s’agenouilla pour dénoncer les violences subies par sa communauté dans son pays. Et voici qu’au milieu des fumées des lacrimo et des vitrines brisées, il y a désormais ces images d’êtres humains qui mettent genoux à terre, de policiers mêmes, devant des manifestants, et des manifestants devant des policiers. Je sais bien qu’il y a aussi les images d’émeutes et les cris de vengeance, mais tout de même, pourquoi ne pas s’arrêter quelques instants sur ces gestes d’espérance ? Comme le dit la chanson, si certains prétendent que la vie ne vaut rien, on a quand même bien raison d’affirmer que rien ne vaut la vie.
Nous savons bien, si nous prêtons foi à l’Évangile, que Dieu ne distingue pas entre les hommes et que le racisme sera toujours incompatible avec le désir de suivre le Christ. Que rien ne bâillonne notre souffle, ni n’entrave notre corps : dans notre respiration, il y a celle de Dieu, et dans toute main tendue, tout genou fléchit, se révèle l’infini de Dieu. Oui, il y a des moments, et sans doute en vivons-nous un en ces jours, où nous devons nous garder de nous laisser étourdir par les discours qui quémandent notre peur. Des moments où nous devons oser l’acte de résistance d’affirmer avec paix que la main tendue, le cœur ouvert, le genou fléchit, s’ils sont dus à Dieu, sont donc, par conséquence, ce que nous devons à tout homme.
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