Haute-Savoie
En publiant Les fossoyeurs, Victor Castanet a mis en avant les dysfonctionnements des Ehpad du groupe Orpea. Un scandale qui a permis de médiatiser la problématique des maltraitances envers les personnes âgées, mais des solutions doivent encore être mises en œuvre.
"Mon père n’était pas lavé, se souvient Lionel Sajovic. Ses vêtements non plus, on le retrouvait régulièrement avec les ongles longs et cassés, ses prescriptions médicales n’étaient pas respectées." Son père est décédé alors qu’il résidait dans un Ehpad Orpea aux Lilas, en Seine-Saint-Denis. Il est mort en pleine crise sanitaire, officiellement à cause du Covid-19, mais Lionel Sajovic est persuadé que ce sont surtout les mauvaises pratiques de l’établissement qui l’ont tué. Fin janvier, la parution du livre Les fossoyeurs a mis en avant les dysfonctionnements du groupe d’Ehpad privés Orpea. Depuis, la parole s’est libérée : c’est ce que constate la Fédération 3977, à l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre la maltraitance des personnes âgées, ce mercredi 15 juin.
Au 1e trimestre 2022, 2.424 alertes téléphoniques ont été enregistrées, soit 40% de plus qu’à la même période, l’an passé. Pourtant, les victimes ont souvent du mal à s’exprimer. "Ce sont rarement les personnes âgées elles-mêmes qui nous appellent, témoigne Pierre Czernichow, président de la Fédération 3977. Il y a souvent des réticences liées au fait que les personnes mises en cause sont des proches, donc des raisons affectives, ou des craintes d’aggravation de la situation ou de représailles. Les victimes ressentent aussi une forme de culpabilité."
Le président de la Fédération 3977 remarque une différence notable depuis l’apparition du scandale Orpea : plus de la moitié des alertes enregistrées concerne des personnes vivant dans des établissements, pour ce 1e trimestre 2022. "Mais les maltraitances ne sont pas l’apanage d’Orpea, souligne Pierre Czernichow. En temps ordinaire, trois quart des alertes viennent de personnes vivant chez elles. Il n’y a pas que les établissements Orpea : il y en a des privés à caractère associatif, des publics. Les établissements commerciaux ne représentent qu’un quart des Ehpad."
D’après la Fédération 3977, les faits qui reviennent le plus régulièrement dans les signalements concernent les négligences passives, c’est-à-dire des réponses insuffisantes aux besoins des personnes vulnérables, et aussi les maltraitances liées aux soins. Conséquences des mauvaises conditions de travail du personnel. "On est en effectifs réduits, témoigne Malika Belarbi, aide-soignante dans un Ehpad public à Boulogne-Billancourt, et responsable du collectif national CGT Santé. Nous sommes trois pour 40 résidents en dépendance physique et mentale. On a des difficultés sur la prise en charge des soins de confort et d’hygiène, et on ne répond pas aux besoins primordiaux des résidents. Quand on interpelle la direction, elle nous dit qu’elle comprend mais que les moyens financiers ne permettent pas d’embaucher des soignants supplémentaires." Résultat : certains salariés ont récemment fait grève, notamment dans plusieurs établissements Orpea. Mais d’après Malika Belarbi, peu de choses ont changé depuis le début du scandale.
Pour Pierre Czernichow, les cas de maltraitances ne devraient pas disparaître du jour au lendemain. Mais les professionnels pourraient essayer de dégager collectivement du temps pour mieux prévenir certaines situations. "Une partie du problème réside dans le fait qu’ils travaillent de manière isolée, individuelle, remarque le président de la Fédération 3977. Or, ils ont besoin de temps pour échanger leurs impressions, confirmer des suspicions de maltraitances, analyser ce qui explique ces situations, et rechercher et mettre en place des solutions."
En réponse au scandale Orpea, le gouvernement a lancé un plan de contrôle de tous les Ehpad français, qui concernera notamment la prévention des cas de maltraitances. Les établissements vont aussi devoir publier, chaque année, dix indicateurs pour permettre aux familles de mieux les comparer. Et puis une plateforme internet doit être mise en place pour recueillir des signalements, en plus du 3977 par téléphone.
Mais Eric Fregona estime qu’il faut aller beaucoup plus loin : le directeur-adjoint de l’Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA) espère un retour de la loi Grand âge et autonomie, abandonnée lors du quinquennat précédent. "On avait organisé une grève, en 2018, qui avait permis d’engager de nombreux rapports gouvernementaux et parlementaires, précise-t-il. Ils ont conclu qu’il faudrait avoir 10 professionnels pour 10 résidents, mais nous sommes toujours à 6 pour 10. On a un retard conséquent par rapport à nos voisins européens. La loi promise n’est pas à l’ordre du jour, et cela pose question sur l’intention des pouvoirs publics de vouloir résoudre cette problématique."
En attendant, au moins 80 plaintes ont été déposées contre Orpea, dont celle de Lionel Sajovic et de sa famille. Le livre de Victor Castanet les a définitivement convaincus de saisir la justice. "Mais nous n’avons pas de suite pour l’instant, regrette-il. On ne sait pas si le tribunal a étudié nos plaintes, s’il va donner suite, quand nous serons convoqués, quand aura lieu le procès d’Orpea. C’est une situation très compliquée." Le parquet de Nanterre a ouvert une enquête sur le groupe, après le signalement du gouvernement et l’enquête administrative qui a conclu a des "dysfonctionnements graves" dans la gestion de ses Ehpad. En parallèle, 30 autres plaintes ont également été déposées, cette fois contre le groupe français Korian.
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