Les réformes se succèdent, parfois de manière contradictoire, mais rien n’y fait : l’école est constamment accusée de défaillances — niveau scolaire en baisse, échec sur la mixité sociale et sur l’autorité. Pour en discuter, nous recevons Philippe Meirieu, chercheur en sciences de l’éducation.
Le 24 juillet 2023, Emmanuel Macron l’avait promis : "un professeur devant chaque classe à la rentrée." Un an plus tard, 3 000 postes de professeurs restent pourtant vacants.
L’éducation n’est plus au centre du débat public, et cela est un problème majeur selon Philippe Meirieu. Il en appelle aux médias : "Je ne pense pas que l’éducation soit au cœur des préoccupations médiatiques. Il n’y a pas beaucoup d'émissions qui lui sont consacrées, et aucun service dédié au sein des rédactions." Il critique aussi le fonctionnement du système universitaire, pointant une fragmentation des recherches, liée aux récentes méthodes d’évaluation, qui a mené à la disparition d’une approche globale des enjeux sociétaux.
Les polémistes se sont emparés du sujet de l'éducation depuis des années et façonnent l’opinion publique dans ce domaine, ce qui est regrettable.
Cette absence de voix scientifique sur les questions éducatives a laissé le champ libre aux polémistes. "Ces derniers se sont emparés du sujet depuis des années et façonnent l’opinion publique dans ce domaine, ce qui est regrettable." Tous les courants politiques se sont exprimés sur l’école. Najat Vallaud-Belkacem, ancienne ministre de l’Éducation nationale, déplorait en janvier 2022 l’absence de véritable méritocratie scolaire. L’économiste Xavier Jaravel s’est dit inquiet de la forte baisse du niveau en mathématiques en France, tandis que Jordan Bardella, en juin 2024, appelait à un "big bang de l’autorité" pour la rentrée de septembre.
Ces prises de parole éparses n’ont pas permis de définir une vision centrale pour l’Éducation nationale. "Je n’ai jamais vu une période aussi dépressive. Nous avons connu des moments de colère, de révolte, d’attentisme. Aujourd’hui, c’est une phase de dépression. Les professeurs se sentent malmenés, découragés, inquiets pour l’avenir de leur institution, comme face à un grand vide", déplore Philippe Meirieu. Selon lui, la crise des vocations chez les enseignants s’explique par plusieurs facteurs : une reconnaissance salariale insuffisante, une image de la profession inquiétante véhiculée par les médias, une formation trop légère et sans cesse modifiée, et enfin des parents trop intrusifs dans le travail des enseignants.
Les réformes s’enchaînent, se télescopent, sans être véritablement évaluées ni analysées avec recul. Il y a un sentiment que tout va trop vite, et que nous ne pouvons pas répondre aux grands défis de notre époque avec cette course aux mesures politiciennes.
Cette perte de repères et de sens au sein du corps enseignant est, d’après Meirieu, le résultat de réformes successives. "Les réformes s’enchaînent, se télescopent, sans être véritablement évaluées ni analysées avec recul. Il y a un sentiment que tout va trop vite, et que nous ne pouvons pas répondre aux grands défis de notre époque avec cette course aux mesures politiciennes." Pour lui, il faut revenir à la formule de Condorcet : permettre à chacun d’accéder à la pensée, tout en se construisant individuellement, mais aussi veiller à ce que tous puissent communiquer et faire société ensemble. Et Philippe Meirieu conclut : "Ce qu’il s’est passé, c’est la montée de l’individualisme social dans la deuxième partie du XXe siècle, qui a fait exploser les sociétés holistiques. Les gens ont eu le sentiment que les institutions ne recherchaient pas leur intérêt personnel. On a pris conscience de l’importance des intérêts individuels, mais sans créer de cadre permettant de les inscrire dans une perspective commune."
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