Cela fait six jours que la guerre a commencé en Ukraine. Jeudi dernier, très tôt le matin, Vladimir Poutine, le président russe, a lancé une offensive sur son pays voisin. D’importants combats de rue et explosions ont lieu dans différentes villes du pays, à Kiev notamment, sa capitale. Objectif : un changement de régime, et une volonté de reprendre la main sur cette ancienne république soviétique.
En Ukraine, ça n’a pas été totalement une surprise. Cela faisait des mois que la menace s’intensifiait, avec plus de 100.000 soldats russes aux frontières ukrainiennes. Il y avait quelque chose de prévisible, avec la guerre débutée en 2014 dans le Donbass, à l’est du pays. "J’ai des amis en Ukraine qui ont quitté le pays en janvier ou en décembre. Toutes les menaces n’étaient pas juste des menaces, ils les ont prises au sérieux. C’est un pays qui est en guerre depuis huit ans. Cette guerre n’était jamais gelée. Il y avait des morts tous les jours", retrace Anastasiya Shapochkina, maître de conférences en géopolitique, spécialiste des relations Europe-Russie, d’origine ukrainienne.
Depuis 2014, une guerre civile oppose le gouvernement ukrainien aux séparatistes pro-russes dans cette région tout à l’est de l’Ukraine, frontalière de la Russie. Un conflit débuté après la révolution de 2014, qui a fait arriver au pouvoir un gouvernement pro-européen, prenant ses distances avec Moscou. Puis, il y a eu l’annexion de la Crimée par la Russie, la même année. Cette région au sud du pays n’est pas reconnue comme telle ni par l’Ukraine ni par la communauté internationale.
Les républiques populaires de Donetsk et de Lougansk ne sont elles non plus pas reconnues officiellement. Elles composent cette région du Donbass. Mais il y a une semaine, quelques jours avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, Vladimir Poutine a reconnu leur indépendance. Ce qui permet à l’armée russe d’intervenir officiellement dans cette zone essentiellement russophone. C’est une déclaration dans laquelle le président russe a affirmé que "l’Ukraine contemporaine a été entièrement et totalement créée par la Russie bolchévique et communiste". "Il a dit que finalement l'Ukraine a été créée par Lénine. Ce sont des arrangements. Vladimir Poutine tire à son avantage des faits qu’il sélectionne", déplore l’historien Alain Blum, spécialiste de la Russie.
"D’un côté, l’Ukraine proclame son indépendance en janvier 1918, sachant que Lénine avait proclamé une forte autonomie en janvier 1917 donc les mouvements ukrainiens étaient très actifs. Ce sont les Ukrainiens qui proclament leur indépendance. Mais Lénine va créer une structure fédérative très contrôlée par Moscou dans laquelle il va créer des structures quasi-étatiques dans les différentes républiques soviétiques. Les structures de l'État ukrainien se consolident entre 1922 et 1939. Ce n’est pas parce qu’un État s’est consolidé dans une certaine période qu’il n’existe pas", rétablit l’historien.
Pour le président russe, l’Ukraine n’est pas un vrai État. En juillet 2021, Vladimir Poutine publiait un essai intitulé "Sur l’unité historique entre les Russes et les Ukrainiens", dans lequel il explique que les deux populations ne forment qu'un seul peuple. Bien qu’elles parlent les deux langues, cette vision est réductrice.
Souvent, le pouvoir russe s’appuie sur un épisode de l’histoire : la Rus’ de Kiev, une entité politique commune aux actuelles Russie, Biélorussie et Ukraine entre les milieux du IXème et du XIIIème siècle. "Au IXè siècle, la ville de Novgorod [Russie, NDLR] appelle à son secours Riourik [prince varègue, NDLR] pour créer une forme d’État. Ensuite, ses descendants vont s’installer à Kiev. Il y aura des relations très étroites entre Kiev et Novgorod. Les princes sont à l’origine de toute la lignée qui va conduire à l’empire russe. C’est une idée mythique. C’est comme si on disait ‘Aix-la-Chapelle peut revendiquer la France parce qu’il y a Charlemagne. Les Carolingiens sont issus de Charlemagne donc il n’y a pas de raison que la France et l’Allemagne soient deux pays’. On est dans cette logique où l’on prend un point de départ et on construit tout une histoire", affirme Alain Blum.
Selon beaucoup d’experts, il y a chez Vladimir Poutine une volonté d’inverser le cours de l’histoire pour que la Russie redevienne la puissance qu’elle a pu représenter par le passé, notamment durant l’empire de 1721 à 1917. "La Russie a un grand complexe de l’ancien empire. Elle se rêve en grand empire mais comprend bien que personne ne la voit en tant que puissance mondiale du grand empire. La Russie est un géant géographique mais un nain économique. Le PIB russe est plus ou moins équivalent à celui des Pays-Bas. Donc pour se repositionner comme une puissance, le seul moyen qui reste c’est le moyen militaire. Le budget annuel militaire de la Russie est de 80 milliards de dollars par an. C’est plus que celui de la France", explique Anastasiya Shapochkina.
Une volonté d’élargir le territoire et de combattre un ennemi. Le président russe appelle régulièrement à une "dénazification" de l’Ukraine. "L’Ukraine a été un territoire où il y a eu beaucoup de participation d’une partie de la population à l’Holocauste. C'est vrai que des mouvements nient ça en Ukraine. Mais l’Ukraine n’a jamais fait obstacle à ce qu’on écrive une véritable histoire de ces questions. Toutes les archives sont complètement ouvertes. Vladimir Poutine se rattache à une sorte de mythe comme quoi les Ukrainiens en seraient restés à 1941-1944 parce qu’il y a des mouvements d'extrême-droite en Ukraine. Il cherche à instrumentaliser complètement. Parler de dénazification n’a rigoureusement aucun sens", explique Alain Blum.
Des arrangements qui vont de pair avec des condamnations d’historiens en Russie et la dissolution de l’ONG Memorial, qui travaillaient sur la mémoire du goulag.
Depuis le début de la guerre il y a moins d’une semaine, plus de 200 civils sont morts dans le conflit. Plus de 500.000 personnes réfugiées selon le Haut commissariat pour les réfugiés aux Nations Unies.
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