Le résistant communiste arménien, mort en apatride, aujourd’hui reconnu mort pour la France, va faire son entrée au Panthéon avec son épouse Mélinée. Missak Manouchian rejoint Jean Moulin, Jean Zay ou encore Germaine Tillion et avec lui, c’est un cortège de symboles qui rentre ici. D’abord parce qu’il n’entre pas seul : ses 22 compagnons auront le droit à une plaque dans le caveau. Ensuite, car cette entrée porte la reconnaissance mémorielle du rôle des résistants immigrés et des résistants communistes pendant la Seconde Guerre mondiale. Enfin parce qu’à l'heure des questions identitaires et des tentations de repli, cette histoire nous dit quelque chose sur ce que veut dire “être français”.
“Pourquoi ne l’a-t-on pas déjà panthéonisé ? ” demande directement l’historien Denis Peschanski. Il est directeur de recherche émérite au CNRS et spécialiste des sciences de la mémoire. “C’est le premier résistant étranger à être panthéonisé, c’est le premier résistant communiste à être panthéonisé, et lorsqu’on connaît le rôle des étrangers et des communistes dans la résistance, nous sommes en droit de nous interroger sur ce délai” s'émeut-il.
Il s'agit de parachever le panorama complet de ceux qui menèrent le combat dans la résistance durant l'occupation
Le symbole est posé. 80 ans après son exécution, Missak Manouchian s’est dressé dans la mémoire collective comme un symbole de résistance française. Mais sur ses épaules repose également le poids d’une forme de justice mémorielle qu’il faudrait rétablir. Pour l’Élysée, il s’agit d’ailleurs de “parachever le panorama complet de ceux qui menèrent le combat dans la résistance durant l'occupation”.
“Ce retard est dû à des pressions internes, car longtemps, les militaires ont sans doute eu du mal à accepter l’idée qu’on puisse accueillir des combattants de l’armée irrégulière et en plus là des étrangers et des communistes” explique Denis Peschanski. À cela, s’ajoute le poids de la guerre froide, les affrontements entre la mémoire gaulliste et la mémoire communiste et l’opposition politique avec le PCF après la guerre.
“À partir de 1960, au moment où le général De Gaulle décide de structurer cette mémoire de la Seconde Guerre mondiale", "on lisse toutes les différences des combattants pour en évoquer finalement que la Résistance avec un grand R", explique à l’AFP Jean-Baptiste Romain, responsable des hauts lieux de la mémoire nationale en Île-de-France. Mais cette mémoire "officielle" était "bien évidemment" centrée sur les résistants "gaullistes", et aujourd'hui, 80 ans plus tard, c'est la "mémoire scientifique" qui permet de "mettre sur le devant de la scène" ceux qui étaient "un peu oubliés": "Les étrangers, les communistes et les juifs", précise-t-il.
C’est donc d’abord des faits qu’il s’agit de mettre en avant avec la panthéonisation de Missak Manouchian. Ceux qui racontent que cet homme, qui est mort pour la France à 37 ans, sous les balles nazis, est né en 1906 dans l’ancien empire Ottoman, loin de Paris. Il fuit au moment du génocide arménien dans lequel il perd son père et sa mère. C’est dans un orphelinat français au Liban qu’il découvre la culture française. “Il est élevé en français et un instituteur lui fait découvrir la littérature avec les grands auteurs de l’époque : Victor Hugo, Romain Rolland, Henri Barbusse” raconte Jean-Pierre Sakoun, le président du comité pour l’entrée au Panthéon de Missak Manouchian. “Il plonge dans cette littérature et dans la poésie et commence à en écrire alors qu’il est âgé de 12 ans” ajoute-t-il.
Via la littérature, “la France devient un phare pour cet adolescent” assure Jean-Pierre Sakoun et il épouse “l’espoir porté par les principes démocratiques et égalitaires de la Révolution française”. Missak Manouchian arrive en France en 1925 et devient cadre de l’Internationale communiste dix ans plus tard. Au moment où la Seconde Guerre mondiale éclate, il est donc engagé.
“Comme beaucoup d’étrangers vivant en France, Missak est foudroyé par le pacte Germano-soviétique fin août 1939 car ces étrangers en France sont non seulement des communistes, mais avant tout des militants anti-fascistes” expose le président du comité qui est aussi président de l’association Unité laïque. Il va donc s’engager dans l’armée française dès 1939. Après un passage en Bretagne et dans une usine de moteur d’avion, il va rentrer à Paris pour doucement rejoindre le réseau des MOI et des FTP.
C’est au sein des Francs-tireurs et partisans de la main-d'œuvre immigrée (FTP-MOI) que Missak Manouchian œuvre dans la résistance. Il devient chef des FTP MOI à Paris à l’été 1943 à la place de Boris Holban. Et il va notamment organiser l’assassinat du colonel SS Julius Ritter, qui organisait en France le STO, le service du travail obligatoire. “L’action contre Julius Ritter demande plusieurs mois de filature” narre Denis Peschanski. Son appartement, rue Pétrarque est finalement identifié et le 28 septembre, Manouchian envoi l’équipe spéciale, avec notamment un Juif polonais, Marcel Rajman, un Allemand Leo Kneler et un Espagnol Celestino Alfonso. “Ils ne savent pas qu’ils exécutent Julius Ritter et ils l’apprennent seulement le lendemain dans la presse” détaille l’historien. “C’est énorme ce qu’il se passe dans Paris, car la société française est traumatisée par le service du travail obligatoire et ils viennent de liquider l’organisateur de ce STO en France”, précise-t-il.
C’est le symbole de ce que veut dire « être français »
Denis Peschanski insiste également sur le rôle du groupe Manouchian au sein de Paris. “En août 1943, ils étaient 65 tout compris à mener la résistance dans la capitale” assure l’historien, “tous les autres groupes étaient tombés les uns après les autres”. Ils multiplient les attentats et les actions de harcèlement contre les nazis. “C’est insupportable militairement” selon Denis Peschanski. Après un long travail de recherche, de filature par la police française, Missak Manouchian est arrêté le 16 novembre 1943 et il est exécuté le 21 février 44 au Mont Valérien avec 21 de ses compagnons.
Avec Missak, c’est tout le groupe qui entre au Panthéon. Il n’est pas mort seul et il n’a pas non plus agi seul. Des voix se sont d’ailleurs élevées pour demander que “Missak Manouchian entre au Panthéon avec tous ses camarades”. Dans une tribune du Monde, Costa-Gavras, Delphine Horvilleur, Patrick Modiano, Edgar Morin ou encore Annette Wieviorka demandent de ne pas “isoler un seul nom” de ne pas “distinguer une seule communauté” afin de ne pas “blesser l’internationalisme qui les animait”.
“Lorsqu’on regarde ce groupe, les deux composantes principales sont les Juifs d'Europe centrale et orientale et les Italiens” précise Denis Peschanski. Pour éteindre quelques polémiques naissantes, l’Élysée précise que Joseph Epstein, Celestino Alfonso, Golda Bancic, Marcel Rajman, Rino Della Negra ou encore Thomas Elek auront leurs noms aussi gravés en lettres d'or dans le "temple des immortels", à l'entrée du caveau numéro XIII où reposeront les dépouilles de Manouchian et de son épouse Mélinée.
À travers cette plaque, il s’agit notamment d’honorer la mémoire de “l’Affiche rouge”. Affiche de propagande nazie qui dénonçait “l’armée du crime” avec les portraits de Manouchian et ses résistants. Ironie de la Grand histoire, c’est à travers cette “Affiche rouge” qu’ils sont passés à la postérité et qu’ils s’inscrivent dans les mémoires françaises, notamment à travers le poème de Louis Aragon, chanté par Léo Ferré et par d'autres aujourd’hui.
“Ce groupe partage deux matrices : celle communiste internationaliste et celle française” décrypte Denis Peschanski. “La plupart sont étrangers et ils ont un amour pour la France, pas celle de Pétain et de Laval, mais celle des droits de l’homme, des lumières et la Révolution française”.
“C’est le symbole de ce que veut dire « être français »” abonde Jean-Pierre Sakoun. “On n'est pas français par la race, par la religion, par l’ethnie, mais parce qu’on accepte de défendre les principes de la Révolution française” précise le président du comité pour l’entrée au Panthéon de Missak Manouchian qui voit dans cette panthéonisation “un message envoyé à tous les xénophobes”.
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