Cette semaine la situation a dégénéré en Nouvelle-Calédonie. Des émeutes ont explosé dans le territoire ultra-marin à cause d’une réforme constitutionnelle qui prévoit de dégeler le corps électoral, permettant aux habitants du territoire depuis au moins 10 ans de voter aux élections locales. Mais pour comprendre les racines de la crise actuelle il faut remonter dans l’histoire de la Nouvelle-Calédonie et de sa relation avec la métropole.
"Depuis 1988, on recule pour mieux sauter", analyse Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l'Université Paris 2 Panthéon Assas. "On a d'un côté des indépendantistes qui souhaitent l'indépendance et qui veulent un référendum qui permet d'acter cette indépendance et de l'autre, des loyalistes qui veulent rentrer dans le droit commun et donc avoir une intégration pleine et entière à la République. Face à cette situation, on n'a fait que repousser l’organisation d’un référendum de décennie en décennie" développe-t-il. Au total, entre 2018 et 2021 il y a eu trois référendums sur l’indépendance. "Dans ce que le ministère de l’Intérieur négocie, il peut encore y avoir un référendum dans plusieurs décennies. Donc on est à mi-chemin entre la possibilité d'une indépendance et une vraie intégration dans la République et entre-temps, on entretient un statut colonial, qui est un statut de droit reconnu par l’ONU et la CEDH." ajoute Benjamin Morel.
Le statut colonial permet de restreindre le suffrage universel avec le gel du corps électoral. "Ça pose de plus en plus de problèmes, estime le spécialiste, parce que quand vous figez un corps électoral vous entretenez des inégalités chaque jour un peu plus criantes. Et donc, il y a un moment où vous devez en sortir. Le problème, c'est que comme personne n'a tout à fait intérêt à sortir de l'ambiguïté parce que personne n'est d'accord sur un consensus, ça explose."
Il existe trois "listes électorales" en Nouvelle-Calédonie. Celle qui rassemble tous les citoyens pour voter aux scrutins nationaux. "Un corps électoral consacré au référendum" avec "une restriction des listes aux populations dites, selon le droit international, intéressées par l'avenir de l'Île." Et un corps électoral plus restreint qui participe aux élections provinciales. Pour appartenir à ce dernier il faut avoir été "électeur en 1998 ou être fils d'électeurs ou fille d'électeurs, sachant que petit-fils et petits-fils, ça ne compte pas, précise le juriste, vous comprenez bien qu'on ne peut pas maintenir ça sine die parce qu'à force, il finira par y avoir plus d'électeurs."
Un entre deux assez délétère.
Cette situation correspond à un processus habituel de décolonisation mais normalement un tel processus dure quelques années. Dans le cas de la Nouvelle-Calédonie, la situation dure depuis 36 ans, ce qui représente "un entre deux assez délétère" selon Benjamin Morel. Pour lui, ce blocage est dû à la composition de la société néo-calédonienne : "vous avez deux populations qui sont à peu près équivalentes en termes de nombre et qui sont sur des options très différentes. Intégration pleine et entière dans la République pour les loyalistes, donc rétablissement du suffrage universel, alors que de l'autre côté, vous avez une volonté d'obtenir l'indépendance. Et donc, cette situation-là fait qu'on se retrouve dans une situation politique inextricable parce que trancher réellement impliquerait qu'un camp accepte structurellement d'avoir perdu et aucun aujourd'hui ne veut structurellement avoir perdu."
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