Depuis plusieurs années la question resurgit à chaque élection en France. Faut-il mieux prendre en compte le vote blanc dans les scrutins ? Aujourd’hui, ce vote est comptabilisé et publié, mais il n’est pas réellement pris en compte dans les suffrages exprimés. Pourtant, les défenseurs du vote blanc pensent qu’il incarne une véritable expression démocratique et réclament une reconsidération de ce comportement électoral.
Lors du deuxième tour de l’élection présidentielle de 2017, qui opposait Marine Le Pen à Emmanuel Macron, 11,5 % des votants ont glissé un bulletin blanc ou nul dans l’urne (8,52 % de blancs et 3 % de nuls). Cela représente 4 millions de personnes. Un record. Les pourcentages sont donc publiés, mais ils ne sont en revanche pas pris en compte dans les 66 % d’Emmanuel Macron ou les 33 % de Marine Le Pen. S’ils avaient été comptabilisés, Marine Le Pen aurait fait 30 % et Emmanuel Macron 58,5 %.
Avant de parler du sens du vote blanc, il y a un débat à désamorcer : faut-il considérer le vote blanc et le vote nul comme la même chose ? Depuis 2014, la loi électorale les sépare dans les décomptes finaux. Concrètement, on vote blanc lorsqu’on glisse une enveloppe vide ou contenant un bulletin blanc dans l’urne et on vote nul lorsqu’on écrit sur le bulletin ou lorsqu’il qu’on en glisse plusieurs dans l’enveloppe. Matériellement, il peut y avoir des confusions, car pour être considéré comme nul, un bulletin doit faire le même grammage et le même format que ceux officiels des candidats. Or, la plupart du temps, les bulletins blancs ne sont pas distribués dans les bureaux de vote et ceux amenés par les citoyens eux-mêmes peuvent ne pas être aux normes.
Un vote blanc est un vote de contestation, de refus de s’exprimer ou de mécontentement face à l’offre politique
“Aujourd'hui, on est incapable, matériellement parlant, de distinguer correctement les deux” explique Jérémie Moualek, sociologue du politique à l’Université d’Évry et spécialiste des comportements électoraux. “Il y a des bureaux de vote où on considère une feuille blanche comme un vote blanc alors qu’on va la considérer comme un vote nul dans le bureau de vote d’à côté”. Les défenseurs du vote blanc réclament donc la présence systématique de bulletins blancs dans les bureaux de vote.
Sociologiquement, tout le monde ne considère pas le vote blanc et le vote nul de la même façon. “Un vote blanc est un vote de contestation, de refus de s’exprimer ou de mécontentement face à l’offre politique alors que le vote nul est simplement un vote incorrect” selon Audrey Fortassin, membre de l’association Démocratie Ouverte qui réfléchit justement à ces questions de transformation démocratique. Même chose du côté de l’association Citoyens du vote blanc. “Il y a une population homogène à travers un bulletin blanc, quand un bulletin nul peu caractériser soit une opposition politique, soit une défiance, soit un refus du système, soit une mauvaise connaissance des règles du scrutin, voire même une simple erreur” développe Florian Demmel, le porte-parole de l’association.
C’est un constat contre lequel s’élève, Jérémie Moualek. “Je ne fais pas la distinction entre blancs et nuls", assure-t-il. “Cette séparation légale n'a pas de sens, car il n'y a pas de distinctions blancs et nuls dans le pouvoir qu'on donne à ces votes. Aucun des deux n’est comptés dans les suffrages exprimés. Du coup, il y a beaucoup d'électeurs qui préfèrent se réapproprier leur vote en écrivant un pamphlet ou en exprimant une idée sur leur bulletin. C’est alors un vote considéré comme nul. Autre exemple : en 2017 certains votants du second tour ont glissé des bulletins Fillon ou Mélenchon par contestation. Officilement, c’est un vote nul, mais lorsque je les interroge, ils considèrent avoir voté blanc.”
En plus des entretiens, Jérémie Moualek a épluché plus de 16 000 vieux bulletins nuls des élections de 2007 et 2012. Le sociologue les partage d’ailleurs sur son compte twitter. “Je veux montrer les votes blancs et nuls autrement. Il y a notamment ce que j’appelle des “votes blancs dans l'esprit”, c’est-à-dire des personnes qui vont émettre un message en disant qu'ils votent blanc alors que leur bulletin sera considéré officiellement comme nul.”
A 2 mois du 1er tour, je me lance dans la publication d'un tweet quotidien dans la lignée de @renaud_epstein (?) :
— Jérémie Moualek (@JeremieMoualek) February 10, 2022
Un jour, un bulletin de vote (archivé)?️
[ici, issu du 1er tour de la Présidentielle 2012 - Archives départementales de l'Oise ⬇️] pic.twitter.com/7pVODLNKVc
Le chercheur a ainsi établi plusieurs profils d’électeurs qui pouvaient utiliser ces types de vote. “La majorité vote blanc et nul par refus de choisir, tout en souhaitant rester fidèle à l’acte électoral” expose-t-il. Ils sont souvent plutôt âgés, intégrés socialement et surtout en accord avec les règles du jeu politique et démocratique. “Le second profil, ce sont des électeurs qui veulent faire entendre leur voix plutôt que de la donner”. Ceux-là sont ceux qui refusent de voter utile, ou pour faire barrage. Il s’agit plutôt de jeunes, souvent diplômés, mais pas avec des conditions sociales forcément favorisées. “Enfin, il y a une troisième catégorie qui vote blanc où nul plutôt de façon désinvestie”. Ces votants là se rendent souvent au scrutin par pression sociale et flirtent avec l’abstention. Ils sont souvent issus de classes sociales dites dominées.
Ces différents profils montrent donc bien l’hétérogénéité des citoyens qui votent blancs ou nuls. Cette diversité, on la retrouve d’ailleurs chez tous les votants, or “il y a un manque total d’attention et de prise en compte de la nature des voix reçues par l’élu” assure Jérémie Moualek. “Par conséquent, beaucoup d’électeurs veulent voter les blancs, car ils ont le sentiment qu’un vote en faveur de X ou Y sera directement assimilé à une adhésion, sans tenir compte de l’usage pluriel du vote”.
À travers ce débat sur la reconnaissance des votes blancs et nuls, c’est donc bien une question sur la construction de notre acte électoral qui est posée. “En 2017, on sait bien que l’ensemble des 66 % d’électeurs d’Emmanuel Macron au second tour, n’ont pas voté par adhésion. Pourtant, dans la manière de faire du président et dans sa politique concrète, on a le sentiment qu’il n’a pas pris en compte l'hétérogénéité de ces 66 %. On se souvient de l’épisode jupitérien par exemple” explique Jérémie Moualek.
La reconnaissance du vote blanc serait le paroxysme de la démocratie participative
Pour les défenseurs du vote blancs, une reconnaissance permettrait donc une meilleure représentation du vote citoyen. “Le vote blanc n’est pas une fin en soi. Nous n’appelons pas les gens à voter blanc” assure Florian Demmel. Pour le porte-parole de l’association Citoyens du vote blanc, “la reconnaissance du vote blanc serait le paroxysme de la démocratie participative”. Dans sa logique : avec un vote blanc pris en compte dans les suffrages, impossible pour la classe politique de continuer à faire l’autruche. “Un vote blanc fort impliquerait forcément que nos responsables politiques prennent des décisions qui iraient dans le sens de la démocratie participative et d’une citoyenneté mieux représentée”
Certains, comme l’association Démocratie Ouverte vont plus loin. “Nous proposons de comptabiliser le vote blanc à toutes les élections et de refaire le scrutin en cas de vote blanc majoritaire” assène Audrey Fortassin. “Le vote blanc n’est pas un refus de s’exprimer. Il porte au contraire le message d’une insatisfaction politique. ” L’idée serait alors de convoquer un nouveau scrutin avec de nouveaux candidats.
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