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Présidentielle : la gauche a t'elle encore une chance ?

Un article rédigé par Simon Marty - RCF,  - Modifié le 1 février 2022
L'Invité de la MatinalePrésidentielle : que fait la gauche ?

A l’époque où le clivage droite/gauche structurait à lui seul les affrontements politiques et renvoyait à une lutte entre deux modèles de sociétés, est désormais dépassée ! Après la primaire populaire, le morcellement de la gauche semble bel et bien se confirmer. Mais est-ce une mauvaise nouvelle ? La gauche est-elle condamnée à perdre ? Une émulation autour de ses idées est-elle encore possible dans ce contexte ? On s’interroge en compagnie d’Olivier Guyottot, enseignant-chercheur en stratégie et en sciences politiques à l’Inseec.
 

Olivier GuyottotOlivier Guyottot

Présidentielle 2022 : et si la gauche était au second tour ?

Olivier Guyottot, INSEEC Grande École

Les organisateurs de la Primaire populaire visant à déboucher sur une candidature de gauche commune lors de l’élection présidentielle 2022 ont annoncé avoir rassemblé 467 000 inscrits.

Même si les conditions et les périmètres d’inscriptions diffèrent, ce chiffre est très supérieur aux nombres de personnes inscrites aux votes organisés par Europe Ecologie Les Verts (122 670 votants avec un taux de participation de 86,91 %) ou par Les Républicains (113 038 votants pour 140 000 adhérents) et semble témoigner d’un intérêt certain pour l’idée d’une candidature de gauche unique et unifiée.

En dehors de Christine Taubira, les trois principaux candidats (Anne Hidalgo, Yannick Jadot et Jean-Luc Mélenchon) ont annoncé qu’ils ne reconnaîtraient pas ce vote bien que leur nom fasse partie, contre leur volonté, des choix possibles.

Alors que les sondages semblent condamner l’ensemble de ces candidats à une élimination au 1er tour de l’élection présidentielle de 2022, un tel positionnement ne manque pas d’interroger.

Le concept de « coopétition », issu de la recherche en stratégie, et une perspective historique peuvent-ils nous aider à mieux comprendre ces stratégies, à priori vouées à l’échec ?

La coopétition, une alliance entre concurrents

Le terme de coopétition est un néologisme issu de la combinaison des mots coopération et compétition et renvoie aux formes de collaboration entre entreprises concurrentes.

Si les recherches ont montré que ce phénomène n’est pas spécifique à la stratégie d’entreprise et que l’on en trouve des traces dès l’Antiquité, c’est Ray Noorda, le fondateur de l’entreprise informatique Novell, qui utilise pour la première fois cette expression au milieu des années 80 pour décrire les échanges entre son entreprise et ses concurrents pour élaborer des standards et des référentiels communs.

L’ouvrage de Brandenburger et Nalebuff, Co-opetition, théorise et popularise le concept en 1996. Les entreprises peuvent être à la fois des concurrents et des partenaires dans le cadre de projets de coopération et la coopétition peut représenter une solution pour faire face à la concurrence et/ou pour mutualiser et partager des ressources et des connaissances.

Un concept paradoxal

L’idée de coopétition peut sembler paradoxale et contre-intuitive dans une économie capitaliste dominée par une logique concurrentielle mettant principalement l’accent sur la rivalité entre les entreprises.

Force est pourtant de constater que le phénomène s’est fortement développé depuis plus de trente ans. Il est de plus en plus étudié et analysé par les chercheurs qui ont mis en lumière différentes formes de coopétition (technologique, de marché, horizontale, verticale, intra-organisationnelle…) et qui ont constaté l’existence d’une logique relationnelle privilégiant désormais la coopération à l’affrontement en matière de stratégie d’entreprise.

Appliqué au champ politique, la coopétition peut concerner une collaboration entre formations de droite et de gauche comme dans le cadre d’un gouvernement d’union nationale ou lors d’un épisode de cohabitation.

Il peut aussi s’agir d’une alliance entre partis d’un même bord politique dans le cadre d’un programme commun ou de candidatures communes pour une élection.

Enfin, il peut concerner des coopérations entre membres d’un même parti défendant des positions antagonistes et s’apparente alors à de la coopétition intra-organisationnelle.

Au-delà des formes possibles que peut prendre cette coopétition, la majorité des recherches s’interroge sur les liens entre coopétition et performance et se demande dans quelle mesure une telle stratégie s’avère payante pour les organisations qui y participent.

Dans le cas spécifique de la gauche française, un retour sur les élections présidentielles passées permet de mieux comprendre les avantages et les inconvénients que porteraient une telle stratégie en 2022.

La gauche à l’élection présidentielle : entre union et désunion

En 1969, l’absence de stratégie de coopétition entre les cinq candidats de gauche (sur un total de sept candidats) débouche sur un second tour entre le gaulliste Georges Pompidou et le président du Sénat, le centriste Alain Poher.

En 2002, les cinq candidatures de gauche, qui s’ajoutent aux scores des candidats d’extrême gauche Arlette Laguiller et Olivier Besancenot (qui obtiennent respectivement 5,72 % et 4,25 %) contribuent à nouveau fortement à l’absence du candidat de gauche Lionel Jospin au second tour et à la qualification surprise du candidat de l’extrême droite Jean-Marie Le Pen.

À l’inverse, le Programme commun de 1972 entre le Parti communiste, le Parti socialiste et les Radicaux de gauche servira de socle à l’élection de 1981 de François Mitterrand, premier président de gauche de la Ve République.

La coalition de gouvernement de la Gauche plurielle de 1997 permettra aussi à Lionel Jospin de remporter les élections législatives suite à la dissolution de l’Assemblée nationale décidée par Jacques Chirac et d’être nommé premier ministre.

Ces exemples semblent légitimer l’idée qu’une coopétition entre forces de gauche concurrentes garantit de remporter une élection présidentielle ou une élection législative sous la Ve République. Elle doit pourtant être mise en perspective.

Gagner sans union

L’histoire a montré que la gauche est capable de l’emporter sans passer par une stratégie d’union dès le 1er tour. Ce fut le cas en 2012 avec l’élection de François Hollande. Et il faut également se souvenir que le Programme commun n’était plus officiellement en vigueur (il est abandonné en 1977) quand François Mitterrand fut élu en 1981.

L’époque où le clivage droite/gauche structurait à lui seul les affrontements politiques et renvoyait à une lutte entre deux modèles de sociétés, l’une capitaliste et libérale et l’autre régulée et sociale, est désormais lointaine.

Les divisions sur l’Europe, la laïcité, l’écologie ou la Nation, pour ne citer que quelques thèmes, constituent désormais des lignes de fracture à priori plus marquées que le clivage droite/gauche et rendent plus difficiles, au-delà des problèmes de personnes, les rapprochements.

Mutualisation d’idées et rapport de forces

Une stratégie de coopétition sous-entend une mutualisation des idées et des forces qui semble par conséquent compliquée à mettre en place et qui ne peut se résumer à une simple alliance politique de circonstances.

L’idée que l’union fait la force se heurte aussi à la crainte de savoir qui sortira gagnant ou perdant d’une telle entente, notamment en vue des élections législatives à venir dans ce cas précis. À gauche, cette question renvoie au souvenir du Programme commun de 1972 qui aurait, pour beaucoup, fortement contribué à modifier le rapport de force entre le Parti communiste et le Parti socialiste en faveur de ce dernier.

Les temps changent et, aujourd’hui, ce même Parti socialiste n’est plus la formation dominante de la gauche française. Aucune autre formation n’a pour le moment réussi à le remplacer. Ni La France Insoumise malgré les 19,56 % de Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle de 2017, ni Europe Ecologie Les Verts après les 13,5 % de la liste de Yannick Jadot aux élections européennes de 2019 et le succès de leurs candidats aux élections municipales de 2020 n’ont réussi à imposer un leadership leur permettant de forcer un rassemblement autour de leurs idées.

Même désunie la gauche au 2ᵉ tour n’est pas à exclure

Finalement, la réponse à la question « La gauche doit-elle s’appuyer sur une stratégie de coopétition pour accéder au second tour de l’élection présidentielle 2022 et éventuellement l’emporter ? » n’est pas aussi évidente qu’elle n’y parait au premier abord.

Derrière Emmanuel Macron, pour le moment crédité de 24 % en moyenne des intentions de vote au 1er tour, aucun candidat ne parvient aujourd’hui à dépasser les 18 % des intentions.

Il n’est donc pas impossible que la qualification pour le second tour se joue, comme lors des élections présidentielles de 2002, autour de 16 %/17 %. Si un candidat de gauche prenait finalement l’ascendant sur les autres dans les semaines qui viennent et bénéficiait d’une dynamique nouvelle, il serait vraisemblablement très proche d’un tel score…

Vingt ans après l’élimination de Lionel Jospin par Jean-Marie Le Pen, le scénario d’un candidat de gauche profitant cette fois de la division de l’extrême droite (même si à ce stade, Valérie Pécresse parait la plus à même de tirer son épingle du jeu) et de la faiblesse relative des forces en présence pour se qualifier pour le second tour n’est donc pas totalement à exclure. Et explique peut-être aussi en partie la position des principaux candidats de gauche déjà déclarés vis-à-vis de la stratégie de coopétition que tente d’imposer la Primaire populaire.The Conversation

Olivier Guyottot, Enseignant-chercheur en stratégie et en sciences politiques, INSEEC Grande École

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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