Et si, dans dix ou vingt ans, les publicités faisant la promotion des voitures thermiques paraissaient aussi incongrues que celles d’autrefois en faveur du tabac ? C’est en tout cas l’évolution qu’aurait souhaité le député Matthieu Orphelin, avec sa proposition de loi "Evin climat". Le texte devait être examiné ce jeudi 8 octobre, à l’Assemblée nationale, mais le groupe Ecologie Démocratie Solidarité a finalement décidé de ne pas le présenter à cause du blocage de la majorité.
Parmi les mesures initialement contenues dans cette proposition de loi : la régulation progressive de la publicité pour les produits les plus polluants, avec une interdiction pour les véhicules thermiques d’ici une dizaine d’années, ou pour les liaisons aériennes remplaçables par des trajets en train de moins de 4h30. "Aujourd’hui, la publicité est l’un des facteurs les plus importants pour notre consommation, rappelle Matthieu Orphelin. Et dans le même temps, elle n’est pas toujours tournée vers la sobriété ou les produits les moins impactants pour l’environnement." Le député du Maine-et-Loire dénonce donc l’influence "des publicitaires et des lobbies" pour faire capoter sa proposition de loi.
Le secteur est effectivement inquiet : ce mardi 6 octobre, les professionnels de la pub ont publié une tribune intitulée "Avant d’interdire". "La publicité est faite pour promouvoir, en positif, est-il écrit. Nul doute qu’elle puisse le faire pour la transition écologique." Un constat partagé par Stéphane Martin : selon le directeur général de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP), "les consommateurs savent que des comportements qui ont pu exister n’ont plus lieu d’être, qu’il y a des outils, des aides pour accompagner, et la communication est justement le soutien de cela".
Du côté du secteur télévisuel aussi, le débat sur le verdissement de la publicité inquiète. "Notre crainte, c’est qu’on aille vers des solutions simples mais peu efficaces et qui nous impactent beaucoup", reconnaît Antoine Ganne, le délégué général en charge des affaires publiques du Syndicat national de la publicité télévisée (SNPTV).
D’autant plus que, selon Antoine Ganne, la télévision n’est pas vraiment en retard sur les questions environnementales : "Les véhicules électriques ou hybrides représentent à peu près 30% des pubs diffusées en télé, ce qui est beaucoup plus que leur part dans les immatriculations." Le représentant du SNPTV souligne également un autre problème : "La télé ne représente que 10% des dépenses des annonceurs en matière de communication, donc les mesures restrictives risquent de déplacer ces budgets vers d’autres types de support, comme les promotions ou les journées portes ouvertes. Cela va simplement enlever un budget aux médias sans avoir d’impact important sur les ventes."
Car l’autre problème, c’est effectivement les conséquences sur l’économie des médias. "La publicité participe à leur financement, à hauteur de 30% pour la presse et d’environ 50% pour les radios et télés", rappelle Alan Ouakrat, maître de conférences en sciences de l'information et de la communication à l’Université Sorbonne Nouvelle. Des mesures restrictives pourraient donc déstabiliser davantage encore un marché déjà fortement plombé par l’arrivée du coronavirus, et ce, malgré "l’augmentation extraordinaire de la fréquentation des sites web" des titres de presse, constate Dominique Augey, professeure à l’université d’Aix-Marseille, spécialiste de l’économie des médias.
Une réforme structurelle de notre rapport à la consommation est donc nécessaire, selon Alan Ouakrat, mais cela ne passera sans doute pas par cette proposition de loi "Evin climat", qui a surtout tendance à "moraliser" le discours publicitaire. "La pub n'a pas qu'un rôle néfaste, souligne aussi l'universitaire. Elle permet au plus grand nombre d'accéder, souvent gratuitement, à une information peut-être moins élaborée mais néanmoins accessible."
De son côté, le monde publicitaire essaie, malgré tout, de faire des progrès vis-à-vis de l’environnement. Par exemple, à partir de 1990, l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) a rédigé une Recommandation "Développement durable". C’est un texte qui contient des règles déontologiques permettant d’encadrer le contenu des publicités d’un point de vue environnemental. Le texte indique notamment que la pub "doit proscrire toute représentation susceptible de banaliser ou de valoriser des pratiques ou idées contraires aux objectifs du développement durable". Ensuite, l’ARPP publie des bilans pour faire le point sur la façon dont ce texte est respecté par les annonceurs. Et dans le bilan 2019, on retient notamment que, sur les plus de 26.000 publicités étudiées, seulement 3% d’entre elles sont en lien avec l’environnement.
Surtout : la plupart des infractions aux règles déontologiques s’expliquent par un problème de vocabulaire, c’est-à-dire que les annonceurs n’utilisent pas toujours les mots adaptés pour qualifier les enjeux environnementaux. En d’autres termes, il faut faire attention à ce qu’on appelle le "greenwashing", cette méthode de marketing qui consiste à utiliser l’argument écologique juste pour faire vendre. Et qui est surtout utilisée par les entreprises qui polluent et qui ne peuvent pas "faire évoluer leur chaîne de production", selon Elodie Vargas. La linguiste et spécialiste des discours écologiques à l’Université Grenoble-Alpes revient justement plus en détails sur ce phénomène :
Les professionnels du secteur ont donc bien conscience que les efforts sont à poursuivre. "Il faut que le pourcentage de publicités pour les produits à faible impact climatique soit de plus en plus important, reconnaît Antoine Ganne, du SNPTV. Cela peut passer par des labels, des réductions tarifaires pour certains produits, etc. Plusieurs choses sont développées par les régies publicitaires." D’après Stéphane Martin, de l’ARPP, c’est aussi une question de pédagogie.
En attendant, la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, devrait prendre des mesures, dans les prochaines semaines, pour inciter les publicitaires à se tourner davantage vers les enjeux environnementaux, dans le cadre d’un projet de loi qui doit reprendre les propositions de la Convention citoyenne pour le climat.
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