Pour la première fois en France, les ventes de mozzarella ont dépassé celles du camembert. "La courbe des ventes de Camembert, en baisse régulière de 3 % par an, est passée en dessous de celle des ventes de mozzarella qui connaît, elle, une croissance annuelle de 5 %", a déclaré au Figaro, Fabrice Collier, président du Syndicat normand des fabricants de camemberts. Concrètement : il s’est vendu 29.230 tonnes de camembert en France contre 33.170 tonnes du fromage italien depuis début 2021. Une nouvelle un peu anecdotique mais qui pose quand même une question : comment se portent les fromages français ?
Si on considère d'abord le cas du camembert, il faut nuancer cette comparaison avec la mozzarella parce qu’aujourd’hui il y a camembert et camembert : il y a celui d'Appellation d’origine protégée (AOP) au lait cru et moulé à la louche et celui industriel. Cette concurrence repose donc sur une confusion selon Benoît Duval, éleveur laitier et président de l’Organisme de défense et de gestion (ODG) Camembert de Normandie. "On est sur un mélange des genres car cette comparaison mélange tous les camemberts alors qu'on sait très bien que, malheureusement, le camembert bas de gamme s'enfonce dans la banalité" explique-t-il, en ajoutant qu'il "se retrouve mis en concurrence avec des produits sans cahier des charges qui ne sont pas d'un haut niveau".
On sait que le camembert bas de gamme s'enfonce dans la banalité
Les camemberts AOP se portent quand même plutôt bien. La filière AOP du camembert connaît une croissance régulière de 2 à 3% chaque année avec même + 41% de volume commercialisé entre 2010 et 2020 selon les chiffres de l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) et du Conseil national des appellations d'origine laitières.
Cette bonne santé dans les chiffres est d’ailleurs vraie pour la plupart de la filière AOP fromagère française, avec par exemple +35% de volume de comté AOP commercialisé entre 2010 et 2020 ou encore +49% pour l'osso-Iraty qui fête ses 40 ans en 2021. En revanche, la dynamique est inverse pour d'autres AOP comme le bleu d'Auvergne qui perd 18% ou le bleu des Causses qui perd 34%...
Aujourd'hui, les AOP regroupent différents niveaux de qualité
Pour comprendre ces nuances il faut revenir sur la notion d’AOP créée en 1983 en France et qui rassemble 42 fromages en 2021. C'est un "sujet complexe" selon Véronique Richez-Lerouge, présidente de l’association Fromage de Terroirs. "Les AOP regroupent différents niveaux de qualité" détaille-t-elle. "Aujourd'hui, en France, vous avez la moitié des AOP qui autorisent la pasteurisation et même des pratiques industrielles. Si on considère le Bleu des Causses par exemple, il n'y a plus qu'un seul producteur : Lactalis. Il devrait donc être exclu des AOP car il ne constitue plus une filière composée de gros, de moyens et de petits producteurs".
On pourrait aussi citer le roquefort AOP. La fameux fromage aveyronnais est aujourd’hui à 80% la propriété de trois multinationales dont Lactalis qui possède par exemple le Roquefort Société. C’est aussi ce groupe, numéro un mondial du fromage qui détient le camembert Président. Au total, Lactalis est présente dans au moins 22 AOP en France. "C'est dommage qu'on est laissé rentrer des multinationales aussi fortement dans les AOP" déplore Véronique Richez-Lerouge. "L'industrie n'est pas mauvaise dans les filières si on préserve un équilibre entre les gros groupes, les PME, les artisans et les petits producteurs fermiers".
Cette concentration permet aux multinationales de peser sur les cahiers des charges des AOP
Avec la concentration des gros industriels, le risque est de voir les AOP françaises perdre de leur sens. "Cette concentration permet aux multinationales de peser sur les cahiers des charges des AOP pour changer les règles, notamment sur le lait cru qui est plus cher à produire. Elles vont alors tenter de se tourner vers des cahiers de charges pasteurisés, qui coutent beaucoup moins cher. C'est le cas avec le Camembert".
Aujourd'hui la pasteurisation est toujours présentée en opposition aux fromages au lait cru jugés plus traditionnels. Cette technique est apparue dans les années 50 et a pris beaucoup d’ampleur aujourd’hui même au sein de certaines filières AOP. "La pasteurisation permet de faire du volume mais on perd le goût, la typicité et la signature du terroir car on harmonise le lait" regrette Véronique Richez-Lerouge. Elle milite d'ailleurs pour des AOP 100% lait cru comme c'est le cas pour le Comté ou le Camembert, passé pas loin de la pasteurisation en 2020. Sauf que le lait cru à mauvaise presse aujourd’hui, surtout à cause du renforcement des mesures sanitaires et de l'hygiène. Sur le site du gouvernement on peut par exemple lire que “les enfants de moins de 5 ans ne doivent en aucun cas consommer les fromages au lait cru".
Si on élargit le spectre et qu'on sort de la sphère AOP, on se rend compte que les fromages AOP représentent seulement une part de 10% sur les plateaux français. Le reste est constitué de fromages qui sont produits sans cahier des charges spécifiques. D'un point de vue économique, la filière du fromage français dans son ensemble se porte d'ailleurs plutôt bien. 34% du lait français est utilisé pour produire du fromage, "loin devant toutes les autres formes d'utilisation du lait" explique Vincent Chatellier, économiste et ingénieur de recherche à Institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement (INRAE). Les matières grasses représentent par exemple 20% , le lait en poudre 20%, le lait conditionné, celui de votre petit déjeuner, 10% et les yaourts 6%.
Il n'y a pas de désamour mais les importations de fromages ne cessent d'augmenter
Dans le commerce extérieur, le fromage français garde une balance excédentaire mais "depuis une dizaine d'année il a perdu de l'ordre de 400 millions d'euros de balance commerciale" précise Vincent Chatellier. "Il n'y a pas de désamour mais les importations de fromages ne cessent d'augmenter, surtout en provenance de trois pays : l'Italie, les Pays-Bas et l'Allemagne. Le premier fournisseur de la France c'est l'Italie qui a largement augmentée ses exportations vers la France". On retombe donc sur notre mozzarella.
Autre aspect à prendre en compte : les changements d'habitude de consommation. "On a une baisse de consommation de fromages à pâte molle" note Vincent Chatellier. "A l'inverse, il y a une augmentation de la consommation des fromages-services, comme la mozzarella, qui sont utilisés de manières très diverses". Et puis il y a aussi une question de rapport de prix. "Les fromages AOP coûtent beaucoup plus chers que les fromages ingrédients qu'on utilisent de partout" conclu Vincent Chatellier.
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