L’INIRR, l’Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des victimes de pédocriminalité dans l’Église a publié son troisième rapport mardi 25 mars. Elle y dresse le bilan de la fin de son premier mandat sur son accompagnement de près de 1 600 personnes. Décryptage avec Marie Derain de Vaucresson.
Renouvelée en novembre 2024 jusqu’à l’été 2026, la question de l’après se pose pour l'Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation (Inirr). Sa présidente Marie Derain de Vaucresson avertit : il ne faudra pas baisser la garde.
Depuis sa création en novembre 2021, l’Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation a été sollicitée par 1 580 personnes. Et 852 décisions ont été rendues. Les personnes sollicitant l’Inirr ont une moyenne d’âge située autour de 61 ans, et plus des deux tiers sont des hommes. "C’est simplement la prévalence de l’accès aux garçons dans les écoles ou dans des contextes non mixtes d’activités d’Église en tous genres", précise Marie Derain de Vaucresson.
À l’automne dernier, nous étions arrivés à une dizaine de sollicitations par mois. Depuis décembre-janvier, nous avons une augmentation importante
Ces dernières semaines, une reprise d’activité due aux révélations des affaires de Bétharram et de l’Abbé Pierre a été observée par l’Inirr, avec une trentaine de sollicitations enregistrées aux mois de février et mars 2025. "À l’automne dernier, nous étions arrivés à une dizaine de sollicitations par mois en moyenne. Depuis décembre-janvier, nous avons une augmentation importante", observe la présidente de l'instance.
Ces cas traduisent une augmentation de l’écart d’âge, avec un rajeunissement des victimes, les faits s’étant parfois produits dans les années 1990 ou 2000.
Des maladies chroniques sont en rapport avec les violences sexuelles subies dans l’enfance
S’adresser à une telle organisation nécessite souvent un élément déclencheur. Marie Derain de Vaucresson observe trois cas. Les personnes qui se retrouvent dans les nouveaux témoignages médiatisés :"Elles se sentent concernées et ressentent aussi une responsabilité, un devoir de se manifester pour confirmer ce qui s’est passé".
Les victimes qui s’agacent de voir des affaires émerger et se répéter, réclamant un changement du fonctionnement de l’Église ou de l’enseignement catholique en se manifestant.
Enfin, et c’est le phénomène le plus important, celles qui sont victimes d’une réactivation du psychotrauma. "Ce sont les personnes qui se retrouvent dans des situations difficiles pour elles, qui les obligent à faire ce geste en espérant pouvoir être apaisées", explique-t-elle.
L’Inirr, pour mener à bien sa mission de reconnaissance et de réparation, s’est efforcée de dresser le bilan de l’ensemble des conséquences des violences subies par les victimes sur leurs vies. "On a regardé les 150 premières situations qui nous sont parvenues pour, en croisant avec le rapport de la Ciase (Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église), identifier quelles sont les conséquences dans la vie des personnes de manière à créer un système d’évaluation des situations."
L’objectif est de parvenir à apprécier le niveau de gravité qui correspond au niveau de réparation financière, comme l'explique Marie Derain de Vaucresson. L’instance a identifié quatre grands types de conséquences : relationnelles, psychologiques, scolaires-professionnelles, et finalement somatiques. En effet, la présidente de l’Inirr rapporte que "la littérature scientifique a permis d’identifier que des maladies chroniques sont en rapport avec les violences sexuelles subies dans l’enfance.”
Quant à la conséquence sur la vie spirituelle, de nombreux témoignages de victimes rapportent avoir complètement quitté l’Église et avoir rompu avec la foi chrétienne. D’autres disent garder la foi tout en maintenant une distance avec l’institution.
Marie Derain de Vaucresson le reconnaît : au début, cette dimension n’était pas prise en compte car certaines victimes ne voulaient pas que la démarche de l’Inirr soit trop en lien avec l’Église. C’est au cours d’échanges avec une victime que l’instance s’est interrogée sur le traitement de cette dimension.
"Toute ma vie de foi a été complètement fracassée, mais surtout j’ai rompu la transmission qui venait de mes parents, de mes grands-parents et qui était importante", a-t-elle témoigné. Dès lors, la présidente de l’Inirr souligne le travail mené par l’institution pour prendre en compte cette dimension comme un point aggravant dans le barème des violences subies.
La vocation de l’Inirr est d’inscrire ses démarches dans le temps long. Marie Derain de Vaucresson présente les démarches restauratives comme s’appuyant sur le mouvement de mobilisation de ressources pour offrir un avenir meilleur et plus apaisant.
Dans cet esprit, les démarches mémorielles sont essentielles. L’Église a, par exemple, décidé de consacrer autour du troisième dimanche de Carême un temps pour faire mémoire de ce qui a été vécu. "C’est une manière d’assumer sa responsabilité et de manifester son accueil pour les personnes victimes, souligne Marie Derain de Vaucresson. Elle marque l’engagement de l’Église à lutter pour que ça ne se reproduise plus.
Dès qu’on baisse la garde, les violences sexuelles redeviennent un sujet actif
L’Inirr doit poursuivre sa mission jusqu'à l'été 2026. Créée en réponse à une situation de crise révélée par le rapport de la Ciase, l’Inirr doit transformer sa réponse pour exister durablement et répondre aux révélations qui continuent d’arriver.
"Ce que je sais, et là ce n’est pas au travers de l'Église, mais au travers de mes 30 ans de vie professionnelle, c’est que dès qu’on baisse la garde, effectivement, les violences sexuelles redeviennent un sujet actif, déplore Marie Derain de Vaucresson. Et de ce point de vue-là, si je crains qu'on puisse baisser la garde, ce dont je suis convaincue, c'est qu'il ne faut pas le faire."
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